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La question de la flotte de la mer Noire

La récente victoire électorale de Ianoukovitch semble devoir remettre de la chaleur dans les relations Russo-Ukrainiennes après un peu moins de 5 ans de grand froid.

La question du bail de Sebastopol a provoqué des bagarres parmi les députés au Parlement ukrainien.

Au cœur de l’affaire, la Russie a finalement conforté durablement sa position en mer Noire à travers l’accord sur sa base de Sébastopol, et elle s’est servie pour cela du facteur énergétique comme moyen stratégique significatif. »

Le nouveau président ukrainien a rallongé jusqu’à 2042 le bail de Sebastopol contre une baisse du prix du gaz. En vertu des accords signés le 21 avril 2010, à Kharkiv, entre les présidents russe, Dmitri Medvedev, et ukrainien, Viktor Ianoukovitch, le prix du bail de la base navale de Sébastopol concédé à la Flotte russe de la mer Noire atteint des sommets. L’Ukraine accorde une prolongation de vingt-cinq ans du bail, qui devait venir à échéance en 2017, en échange de tarifs préférentiels de fourniture de gaz russe (réduction du prix de 30 %).

Cette utilisation de l’énergie dans des négociations diplomatiques doit alerter l’Europe.

Cette question ukrainienne dépasse les frontières du pays et conditionne la stabilité de l’approvisionnement en énergie de l’Europe.

Bien que l’on puisse imaginer que comme beaucoup d’autres accords que la Russie a signé ces dernières années avec ses voisins, celui-ci ne soit qu’éphémère et remis en cause dès les prochaines élections ukrainiennes.

De plus il est difficilement imaginable que l’Ukraine intègre l’OTAN avec une flotte russe stationnée sur son territoire.

D’ailleurs il semblerait que cette intégration soit renvoyée aux calendes grecques, le pouvoir ukrainien semblant favoriser plutôt un rapprochement avec Bruxelles, moins problématique.

En effet, lors d’un entretien avec des médias ukrainiens en mai 2010, le président Dmitri Medvedev a estimé que le développement par Kiev de ses rapports avec Moscou ne ferait pas obstacle aux aspirations européennes de l’Ukraine.

« Tout choix doit être raisonnable. Nous participons tous à l’intégration européenne. Les échanges de la Fédération de Russie avec l’Union européenne se montent à 250 milliards de dollars par un, notre intégration avec l’Europe est donc très étroite. Si vous estimez que cela (appartenir à l’UE) est intéressant pour vous (…), c’est normal », a conclu M.Medvedev.

L’importance stratégique de la flotte de la mer Noire doit être soulignée, lors de la guerre en Géorgie, la flotte géorgienne fut détruite en quelques jours et le blocus sur ses côtes fut implacable.

A l’époque soviétique, la Flotte de la mer Noire, dotée de missiles nucléaires, agissait dans la direction Sud-Ouest de la coalition des alliés de l’organisation du Traité de Varsovie. Son activité a exercé une influence substantielle sur la situation en Méditerranée et au Proche-Orient.

La Flotte russe de la mer Noire surpasse aujourd’hui toutes les flottes des pays riverains de la mer Noire réunies, sauf celle de la Turquie. Des unités des forces armées des Etats-Unis sont déjà stationnées en Bulgarie et en Roumanie. Ces Etats sont déjà membres de l’OTAN. La Géorgie rêve d’adhérer à l’Alliance. L’Ukraine du président Viktor Iouchtchenko recherchait également l’adhésion de son pays à l’OTAN. En ce qui concerne la Turquie, ses forces navales dépassent déjà notre Flotte de la mer Noire à bien des égards. La Turquie qui est depuis longtemps membre de l’OTAN fait la loi dans les détroits. Des escadres de navires et de sous-marins peuvent entrer à tout instant dans la mer Noire : aussi bien celles de la Turquie, que celles de ses alliés au sein du bloc. A l’époque de l’URSS, les Etats-Unis formaient en Turquie des spécialistes pour la guerre contre l’URSS. A présent, la Turquie possède l’une des flottes les plus modernes, ses marins sont parfaitement entraînés.

Le groupe de coopération navale regroupant six Etats riverains de la mer Noire (Bulgarie, Géorgie, Russie, Roumanie, Turquie, Ukraine) a été créé en 1998 sur proposition de la Turquie. Il a pour vocation de lancer en commun des opérations de recherche et de sauvetage, de repêcher des mines et d’effectuer des visites de bonne volonté, ce qui constitue un tableau extérieur favorable pour la Russie, qui ainsi ne se retrouve pas isolée. Cependant, la plupart de ces exercices simulent l’invasion d’un petit pays par un grand pays, on peut donc arriver à la conclusion que ceux-ci visent en fait la Russie.

Dans la région de la mer Noire, la Russie ne compte donc que deux alliés fiables : son gaz et sa flotte. Le premier maintenant en place la seconde.

De plus la persistance de cette basse russe sur un territoire ukrainien où l’on parle à plus de 60% russe peut inquiéter Kiev pour son intégrité territoriale. Rappelons que peu de temps après l’indépendance, Moscou avait souhaité revenir sur le don que Nikita Krouchtchev (d’origine ukrainienne) avait fait à l’Ukraine en 1954, la Crimée fut alors donnée à la république socialiste d’Ukraine à l’occasion du tricentenaire de la signature des accords de Pereiaslav (unification de l’Ukraine cosaque et de la Russie). S’en était suivie une crise diplomatique entre les deux États et finalement Moscou avait renoncé.

Cependant, le commandement de la base navale et les organisations russes contrôlent la ville, dominant le commerce et la vie culturelle. En effet, le transfert de Sébastopol à l’Ukraine n’a jamais vraiment été accepté par la société russe (ainsi que certains hommes d’État), considérant le transfert comme temporaire. Les autorités moscovites, sous la gouvernance du maire Loujkov continuent à sponsoriser le tissu social pro-russe, ainsi que l’éducation (écoles, universités) et les activités culturelles de Sébastopol (particulièrement celles en faveur des employés de la Marine russe et de leurs familles). Ces activités dénotent une certaine indépendance vis-à-vis du reste de l’Ukraine. Les autorités ukrainiennes contrôlent les activités formelles telles que les impôts et la police.

Dans un cadre plus large, la Russie voie les pays de la CEI rejoindre progressivement les rangs de l’Union Européenne et de l’OTAN. La Russie le perçoit comme une provocation et comme une volonté de nuire à son pré carré d’influence historique. Les crises du gaz ou le bouclier anti missile sont d’autres manifestations de cet antagonisme rampant.

Cependant depuis quelques mois, les tensions avec l’UE et avec l’OTAN semblent s’être dissipées. Après la disparition tragique du président polonais, les relations entre Varsovie et Moscou sont aux beaux fixes, la Russie coopère avec la Turquie, les Etats-Unis ont décidé d’inclure la Fédération dans le projet de bouclier anti-missile

Ainsi le contexte pour la région semble se détendre et dans le même temps la Russie y conserve ses bases, contient l’avancée de l’OTAN mais en contrepartie, ne peut pas refuser l’élargissement de l’UE.

Il semblerait que celle ci l’ait d’ailleurs bien compris puisque dans le cadre de sa politique de voisinage, elle vient d’annoncer, le 2 juillet 2010, d’engager 85 millions € supplémentaires en faveur de la Facilité d’investissement pour le voisinage (FIV) pour l’année 2010. « Cette contribution créera un effet de levier permettant aux pays voisins partenaires d’obtenir des montants supérieurs pour financer des projets d’investissement essentiels dans des domaines clés tels que l’énergie, le transport, l’environnement, ainsi que dans le secteur social (en faveur de projets relatifs, entre autres, à la construction d’écoles et d’hôpitaux). »

Bien sur, cet argent n’ira pas seulement aux pays riverains de la mer Noire, mais aussi au pays du sud de la méditerranée. Comme on le voit, l’argent servira surtout au développement de projet énergétique.

Car l’UE reste prudente, une flotte russe en mer Noire pouvant à tout moment couper les réseaux d’approvisionnement d’énergie de l’Union, elle pluralise donc ses investissements dans toute sa périphérie pour ne pas être dépendante des seuls oléoducs et gazoducs de la mer Noire.

Ludwig ROGER

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La mer Noire, un espace en transition

Avec l’émergence de l’Ukraine en tant qu’Etat indépendant, une évolution géostratégique majeure s’est faite jour sur les marges orientale de l’Europe. Moscou et Kiev se sont opposés sur différentes questions : la flotte de la mer Noire, la division des anciens territoires soviétiques, le remboursement de la dette internationale, l’approvisionnement en énergie, la forme de la CEI ainsi que le contrôle et la possession des armes nucléaires.[1]

Le problème de l’Est Ukrainien a été soulevé dès l’indépendance. Un mouvement sécessionniste dirigé par des Russes se forma en Crimée. La Crimée proclama même son indépendance, mais celle-ci fut finalement abrogée en mai 1992. Puis, le même mois, le Parlement de la fédération de Russie déclara nul et caduc le transfert de 1954[2] qui rattachait la Crimée à l’Ukraine. Les Russes se ravisèrent[3] et finirent par reconnaître la Crimée comme faisant partie de l’Ukraine. Dans l’état actuel des choses, la république de Crimée est une entité autonome, mais faisant partie « intégrante et inséparable »[4] de l’Ukraine. Plusieurs dispositions de la Constitution ukrainienne de 1996 — les articles 134 à 139[5] — sont consacrées à la République autonome de Crimée qui, par ailleurs, est dotée de sa propre constitution selon laquelle elle exerce le pouvoir dans des domaines tels que la préservation de la culture. La Crimée est et restera au cœur de la relation Russie-Ukraine. Elle est connue pour son enchevêtrement ethnique, sa population de 2,5 millions d’habitants comprenant 1,7 millions de russes, 600 000 Ukrainiens et 280 000 Tartares.[6]

La situation de l’Ukraine est le reflet de la situation de la plupart des Etats issus de l’ex Union soviétique. Mélange ethnique, Etat faible et peu affirmé, recherche identitaire – Occident ou Russie ? – risque de sécession ou conflit sécessionniste en cours. Tout ceci avec en arrière plan une Russie qui après s’être effacée quelque peu au cours de la décennie 1990, joue à nouveau un jeu ambigu dans son ancien espace.[7]

Il faut remonter au XVIIème siècle pour comprendre la situation actuelle de l’Ukraine. En 1667, lors du traité d’Androussovo, l’Ukraine fut partagée entre la Pologne et la Russie et commença à subir l’influence de la langue russe. La Russie prit le contrôle de la rive gauche du Dniepr – Kiev y compris – et reconnut les droits de la Pologne sur la rive droite du fleuve.

Selon les termes du traité, l’Ukraine était divisée en deux par le Dniepr : la Russie reçut la portion est de l’Ukraine, la ville de Kiev, et les provinces de Smolensk et Seversk. Ce traité fut confirmé par un autre conclu en 1686.[8]

Lors des partages de la Pologne entre 1790 – 1795, la partie ouest de l’Ukraine fut soumise à la tutelle des Habsbourg, et fut autorisée à développer sa culture et sa langue nationale, surtout après la Constitution de 1867. Dès le XVIIIe siècle, les Ukrainiens avaient pu développer leurs propres écoles où on enseignait en ukrainien. La Galicie et, dans une moindre mesure, la Bucovine devinrent en quelque sorte le terrain fertile des revendications des Ukrainiens en faveur de leur langue. Il faut préciser que, de la part de l’Empire austro-hongrois, l’usage de l’ukrainien constituait un moyen d’enrayer la propagande panslaviste de Saint-Pétersbourg.[9]

Par contre, l’Est et le Sud subirent la russification des tsars, puis des Soviétiques. Durant deux siècles, les décrets se succédèrent pour limiter, voire interdire l’usage de la langue ukrainienne. Pour les tsars, l’ukrainien était perçu non seulement comme un « dialecte inférieur au russe », mais aussi comme un « dialecte de transition » entre le polonais et le russe utilisé pour susciter l’agitation politique. C’est pourquoi les tsars pratiquèrent une vigoureuse politique de russification à l’égard de l’ukrainien. En 1863, le ministre russe de l’Intérieur d’Alexandre II (1855-1881), Pyotr Valuev, publia une circulaire interdisant l’impression de documents pédagogiques et de livres religieux (y compris la Bible) et populaires en ukrainien. C’est à lui qu’on doit cette formule célèbre : « Il n’y a jamais eu de langue ukrainienne, il n’y en a jamais eu et il n’y en aura jamais. »[10] Seules les œuvres littéraires furent tolérées. L’enseignement en ukrainien dans les écoles fut simplement interdit. Ces dispositions furent encore renforcées par l’oukase d’Ems du 18 mai 1867, qui interdit l’importation de livres en ukrainien dans l’Empire russe ainsi que l’impression de textes originaux ou de traductions en ukrainien, sauf pour les documents historiques – mais sans adopter l’orthographe ukrainienne moderne et de certains romans sous réserve d’adopter l’orthographe russe. Ce n’était pas tout ; car les représentations théâtrales furent interdites en 1876, ainsi que toute déclamation et lecture publique, sans oublier l’édition des partitions musicales en ukrainien. Puis la chaire d’ethnographie de l’Université de Kiev fut supprimée. Si la politique réformiste d’Alexandre II avait pour objectif l’alphabétisation des campagnes, elle devait en exclure les Ukrainiens. De fait, à la fin du XIXe siècle, les Ukrainiens formaient une classe sociale essentiellement rurale, l’ukrainien étant considéré comme la langue de ruraux incultes.[11]

Proclamée en novembre 1917, la République autonome ukrainienne eut à faire face à la République soviétique d’Ukraine soutenue par les bolcheviques. La Russie soviétique créa en 1922 la République socialiste soviétique d’Ukraine. Ainsi l’Ukraine de l’Ouest et l’Ukraine du Sud-Est furent réunies et annexées à l’URSS.

Les diverses nationalités de l’URSS obtinrent aussitôt le droit d’utiliser leur langue dans les écoles et les administrations locales. C’est ainsi que l’ukrainien fut introduit dans les écoles primaires en 1921. L’ukrainisation favorisa une certaine consolidation de la nation ukrainienne et davantage de citoyens s’intéressèrent à la langue nationale.

À partir des années trente, c’est-à-dire sous Staline, les succès relatifs de l’ukrainien furent arrêtés net. La répression commença à s’exercer contre les Ukrainiens et les membres des minorités nationales. Dès 1933, des politiques d’épuration furent engagées par les Russes. Toutes les concessions linguistiques et culturelles accordées aux nationalités non russes furent réduites à néant par une politique agressive de russification.[12]

Puis l’Ukraine devint la cible préférée des mouvements de migration décidés par Moscou. Dès que les Soviétiques construisaient une usine en Ukraine, presque toujours dans l’Est et le Sud, ils faisaient venir des Russes. Le nombre de Russes fut multiplié par trois : de 8,2 % en 1920, ils passèrent à 16,9 en 1959 avant d’atteindre 22,1 % en 1989.[13]

Aujourd’hui la situation est encore compliquée du fait de la présence de la Flotte russe à Sébastopol.

Moscou exerce une force d’attraction sur ces Etats dans une orbite que recherchent certains segments de leurs sociétés et de leurs élites et que d’autres rejettent. On comprend mieux ici l’importance des minorités russes en Ukraine et en Moldavie.

Pendant les années 1990, la Russie n’a plus très bien su gérer ses relations avec les nouveaux États situés à ses frontières, ni s’habituer à la perte d’un empire et à l’amputation de territoires qui avaient fait longtemps partie de son bastion traditionnel. La Russie a également posé des difficultés à l’UE, elle structure ses relations avec l’Ukraine, la Moldavie et le Belarus. C’est en effet sur la jeune Fédération de Russie que l’Union a centré son approche étant donné la domination que celle-ci exerçait sur les Nouveaux Etats Indépendants Occidentaux et son importance géopolitique.[14]

Après l’effondrement de l’URSS en décembre 1991, l’Union a d’abord répondu par la mise en place des accords TACIS. Le programme TACIS a été le principal instrument conçu pour soutenir les relations de l’Union avec ces Etats et promouvoir ses objectifs. Selon l’UE, le programme TACIS « vise à favoriser la transition vers une économie de marché et renforcer la démocratie et l’État de droit dans les États partenaires d’Europe orientale et d’Asie centrale ».[15] L’assistance TACIS est appliquée à travers des programmes nationaux et régionaux ainsi que des petits programmes d’assistance.

L’Union a conclu avec l’Ukraine à Luxembourg, le 14 juin 1994, un Accord de Partenariat et de Coopération qui reflète les caractéristiques générales de l’approche européenne concernant les pays en transition de l’espace mer Noire. Avec ses 37 pages, ce document comprend 109 articles, répartis en dix chapitres, plus cinq annexes. Les titres des chapitres vont du dialogue politique au commerce, en passant par les questions financières, la coopération économique, la propriété intellectuelle et la coopération culturelle et technologique. Cet accord, qui sera en vigueur pendant une période de dix ans fixe quatre objectifs à la coopération UE-Ukraine : développer le dialogue politique, promouvoir le commerce, l’investissement et des relations économiques harmonieuses, fournir la base d’une coopération mutuellement bénéfique dans tout un éventail de domaines (détaillé dans les chapitres) et soutenir la transition de l’Ukraine vers sa consolidation démocratique.[16]

Cette consolidation doit, dans l’esprit de la Commission, amené à une stabilisation de la situation dans ces pays.

Mais certains Etats de la région n’ont pas réussi à empêcher l’éclatement de conflits qui perdurent encore aujourd’hui, à tel point qu’ils sont qualifiés de « gelés ».

Le schéma que l’on retrouve en Moldavie est fortement similaire à celui de l’Ukraine : forte minorité russophone implantée à l’Est du Dniestr, concentration de toutes les industries dans cette région, présence d’une armée russe.

Mais contrairement à l’Ukraine, la situation débouche en 1992 sur des affrontements armés auxquels la 14e armée russe, commissionnée par la CEI pour « maintenir la paix », met fin. Un armistice est signé au mois de juillet 1992 et des négociations, jusqu’à présent infructueuses, sont engagées pour définir le statut de la Transnistrie.[17]

De l’autre coté de la mer Noire, dans le Caucase, l’effondrement de l’empire soviétique a aussi amené des troubles qui ont débouché sur des « conflits gelés ». Les enjeux de sécurité à court et moyen terme y sont multiples, complexes et fortement imbriqués dans ce qu’il faut bien appeler des processus de transitions à tous les niveaux, couplés à des processus sécessionnistes, séparatistes ou irrédentistes.[18] Les négociations sont au point mort dans les trois conflits principaux, au Haut-Karabagh, en Abkhazie et en Ossétie du Sud. Le développement de ces conflits s’est fait parallèlement à l’instabilité générale marquant la fin de l’URSS, et s’est concrétisé dans tous les cas par des luttes territoriales à caractère ethnique. Le catalyseur des conflits réside dans la modification unilatérale du statut des territoires, en ce sens il est difficile de véritablement parler de transition, voire d’Etat, dans la mesure où les autonomistes veulent sortir de territoires qu’ils ne considèrent ni comme leur Etat ni même comme un Etat.[19]

Le conflit abkhaze qui éclata en 1992 déboucha sur une victoire militaire des séparatistes, appuyés de volontaires du nord Caucase et de troupes russes. Elle fut suivie de la proclamation d’un cessez-le-feu l’année suivante ainsi que de l’expulsion des populations géorgiennes. Une troupe de maintien de la paix russe, labellisée CEI[20] fut envoyée en 1994, sous la surveillance de l’UNOMIG. Des flambées de violences reprirent en 1998 puis en 2001 entre milices abkhazes et réfugiés géorgiens. Ni le plan de D. Boden en 2001 ni la rencontre de Sochi de 2003 entre Poutine et Chevardnadze n’ont permis de grandes avancées.

En Ossétie du sud, la confrontation militaire fut de moindre ampleur, et l’OSCE fournit le cadre de négociations entre Ossètes, Russes et Géorgiens à travers une Commission de contrôle mixte. Depuis le cessez-le-feu de 1992, le document de Boden,[21] proposé en 2000 lors d’une réunion des experts co-présidée par l’OSCE et la Russie, reste le seul projet de résolution du conflit. La détérioration de la situation en mai puis août 2004 incita les parties à entamer une démilitarisation de la zone.[22]

Au Haut-Karabagh enfin, l’URSS avait favorisé jusqu’en 1990 les populations azéries. Mais en 1991, alors que le conflit s’internationalisait, Azéris et Karabatsis proclamaient simultanément leur indépendance. Durant l’été 1992, la CSCE, l’actuelle OSCE, met sur pied le Groupe de Minsk[23] à Helsinki, composé de onze États et co-présidé par la France, la Russie et les États-Unis, aux fins de médiation d’un accord de paix entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan.

La CSCE proposa l’envoi d’une force de maintien de la paix OTANCEI afin de surveiller les cessez-le-feu et de protéger les convois humanitaires en faveur des réfugiés. La Russie s’opposa en particulier à l’envoi d’une force de maintien de la paix comprenant des soldats de l’OTAN dans le Caucase, car elle considère cette action comme une tentative de pénétrer son « arrière-cour ».[24]

L’ancienne région autonome a doublé de superficie suite à ses succès militaires dans la guerre de 1991-94, et poursuit désormais une stratégie autonome de reconnaissance internationale. La résolution de ce conflit, qui a entraîné la mort de 40 000 personnes et le départ d’environ 1 million de réfugiés,[25] est une clé fondamentale de la stabilisation de la région.[26]

Ces zones instables favorisent les trafics et la défaillance des Etats permet aux mafias et trafiquants de prospérer. L’exemple de la Moldavie est le plus frappant. Etat aux portes de l’Union, celui-ci se caractérise par une forte criminalité et des ramifications de réseaux mafieux dans toute l’Union. La hausse de la criminalité depuis l’indépendance est due à des héritages soviétiques combinés aux nouvelles possibilités offertes par le contexte postcommuniste. Le passage au marché et à la démocratie s’est accompagné de phénomènes favorisant la criminalité. Tout d’abord, les changements juridiques ont laissé les acteurs agir dans des conditions souvent proches de l’illégalité. Ils ont pu connaître une situation d’ « anomie ». Ce concept forgé par le sociologue français Emile Durkheim[27] désigne l’état d’une société caractérisée par une désintégration des normes qui règlent la conduite des individus et assurent l’ordre social. L’activité informelle se répand, ce qui affaiblit la résistance vis-à-vis de la criminalité. En même temps, le système de régulation économique a changé de manière tout aussi considérable à cette période. Ces phénomènes, renforcés par l’effondrement économique généralisé et la nature incomplète des changements, ont engendré une hausse des activités informelles et de la criminalité.[28]

La Moldavie est à la fois un lieu de passage et d’émission de trafics. Cette question est donc fondamentale pour la sécurité régionale, puisque les frontières moldaves sont poreuses. A l’Ouest, la sécurisation de la frontière du côté roumain est à l’œuvre, même si ce travail peut être dommageable pour les relations moldo-roumaines. En effet, le petit commerce transfrontalier permet à de nombreux citoyens de vivre dans ces régions déprimées économiquement. La fermeture de ces frontières rappelle en outre de douloureux souvenirs pour des familles qui ont été interdites de visite pendant la période soviétique. A l’Est, la frontière entre l’Ukraine et la Transnistrie a longtemps été extrêmement poreuse. En effet, le port d’Odessa constitue un débouché privilégié sur la mer Noire pour la République du Dniestr. Elle fait désormais l’objet d’une surveillance accrue au niveau européen. Une mission d’assistance de l’UE lancée en décembre 2005 a pour objectif de faire cesser les trafics entre la Transnistrie et le port de la mer Noire.[29] Elle est devenue effective le 1er décembre 2005. La mission doit fournir des conseils et former les douaniers afin d’améliorer leur capacité administrative.

Cette mission est lancée deux ans avant l’intégration de la Roumanie et de la Bulgarie. Ce qui signifie que l’UE était consciente des problèmes de criminalité bien avant l’élargissement. Dès 1998, Europol produit un rapport qui prévoit le renforcement de la future frontière extérieure de l’UE, afin de lutter efficacement contre le crime transnational.[30]

En effet, l’Europe communautaire « représente le premier laboratoire d’une libéralisation totale de la circulation des hommes, des marchandises et des capitaux, encadrée par des institutions politiques communes. Sa maîtrise de la globalisation connaît pourtant des ratés. L’Europe n’a pas pu éviter l’installation durable sur son sol d’une criminalité économique très performante ».[31] Depuis 1993, le passage au marché unique a encore aggravé la situation. L’élargissement de l’Union européenne aux pays d’Europe centrale et orientale marque une nouvelle prise de risque, encore largement minorée dans le débat public.[32]

Le contrôle des frontières incite aussi à davantage de coopération avec la Moldavie, dans le but d’assurer la sécurité tout en évitant la constitution d’un « mur de Schengen ».[33] Par ailleurs, le développement des capacités de l’UE en matière de sécurité et de défense permet d’envisager des missions pour la stabilité de son voisinage s’il en était besoin. Enfin, l’UE paraît de plus en plus engagée dans les mécanismes de résolution des conflits. La politique de voisinage et le plan d’action UE-Moldavie vont dans ce sens, de même que l’arrivée d’un représentant spécial de l’UE en Moldavie.[34]

Parmi les activités de ces bandes organisées, le trafic de drogue est le plus rentable. Depuis l’effondrement de l’Union soviétique, l’ancienne route de la drogue de l’Europe du Sud Est, allant de la Turquie aux Balkans, c’est vue doublée d’une autre passant par la mer Noire.[35]

En matière de trafic, les routes utilisées par les différentes drogues sont bien connues. La Cocaïne et le Haschisch produits dans les anciennes républiques soviétiques, transitent par la Caspienne, passent par les régions du Sud Caucase et débarquent dans le port d’Odessa d’où les cargaisons sont ensuite disséminées via des réseaux moldaves, roumains, bulgares et turcs à travers le territoire de l’Union, les pays d’Europe centrale et orientale ainsi que les Balkans servant souvent de plaques tournantes.[36] Ce défi est cependant récent car les frontières de l’Union ne sont réellement et complètement exposées aux trafics que depuis 2007. Cependant toutes les politiques européennes engagées dans la région depuis 2003, soulèvent le problème.[37]

L’Union est aujourd’hui consciente de la nécessité de soutenir et de promouvoir la coopération transfrontalière non seulement entre les pays voisins mais sur ses futures frontières avec l’extérieur. La Commission a élaboré une proposition sur un nouvel instrument de voisinage, conformément à l’objectif énoncé dans la communication sur « l’Europe élargie », à savoir « éviter la formation de nouvelles lignes de fractures en Europe et promouvoir la stabilité et la prospérité à l’intérieur et au-delà de ses nouvelles frontières. »[38]

Ce sera la Politique européenne de Voisinage.


[1] Voir J. MORRISON, “Pereyaslav and after; the russian-Ukrainian relationship, International Affairs, vol. 69, n.4, 1993, p. 677

[2] Arkady JOUKOYSKY, Histoire de l’Ukraine : des origines à nos jours, Editions du Dauphin ; 2005

[3] Ibid.

[4] Constitution Ukrainienne du 28 Juin 1996, traduit de l’anglais au français par l’auteur, Article 134

[5] Ibid.

[6] The Moscow Times, 15 Janvier 1994

[7] Dov LYNCH, « Partenaires et voisins : Une PESC pour une Europe élargie », Cahier de Chaillot, n°64, Sept. 2003

[8] Arkady JOUKOYSKY, Histoire de l’Ukraine : des origines à nos jours, Editions du Dauphin ; 2005

[9] http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/index.shtml

[10] Op. Cit.

[11] Olivier de LAROUSSILHE, L’Ukraine, Que sais-je ? PUF, 2002

[12] http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/index.shtml

[13] Ibid.

[14] Dov LYNCH, « Partenaires et voisins : Une PESC pour une Europe élargie », Cahier de Chaillot, n°64, Sept. 2003

[15] http://europa.eu/scadplus/leg/fr/lvb/r17003.htm

[16] http://europa.eu/scadplus/leg/fr/lvb/r17002.htm

[17] Florent Parmentier : La Moldavie à la croisée des chemins, Editoo, Paris, 2003

[18] Gilles BERTRAND, « La solution au conflit identitaire ?, Russie-Asie centrale : regards réciproques. La partition en question : Bosnie-Herzégovine, Caucase, Chypre » in CEMOTI n°34

[19] Dov LYNCH, “The South Caucasus: A Challenge for the EU”. Cahier de Chaillot n° 65, Paris, Décembre 2003. p. 161.

[20] Bruno COPPIETERS, Tamara KOVZIRIDZE, Uwe LEONARDY, “Federalization of foreign relations: discussing alternatives for the georgian-abkhaz conflict”, Caspian Studies Program Working Paper Series, disponible sur : http://bcsia.ksg.harvard.edu/BCSIA_content/documents/CSP_WorkingPaper_2.pdf

[21] Guillaume de ROUGE, « Perspectives d’une Politique étrangère de sécurité commune au Sud-Caucase », Dialogues Européens n° 6 (2006).

[22] Voir le rapport de l’UE http://europa.eu.int/comm/world/enp/pdf/country/georgia_cr_0503.pdf

[23] Le Groupe de Minsk a été créé en 1992 par la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE, à présent l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE)) afin d’encourager la recherche d’une résolution pacifique et négociée entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan du conflit les opposant sur le Haut-Karabagh, source site de l’OSCE : http://www.osce.org/item/21979.html

[24] Michael P. Croissant, The Armenia-Azerbaijan Conflict: Causes and Implications, Praeger, Londres, 1998

[25] CIA, World Fact book, disponible sur https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/geos/aj.
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[26] Guillaume de Rougé, « Perspectives d’une Politique étrangère de sécurité commune au Sud-Caucase », Dialogues Européens n° 6, 2006.

[27] Émile Durkheim, De la division du travail social, 1893 L’anomie est l’état d’une société caractérisée par une désintégration des normes qui règlent la conduite des hommes et assurent l’ordre social.

[28] Florent PARMENTIER, « La Moldavie et la Transnistrie. Géopolitique du voisinage euro-russe », le 1er avril 2006 dans http://www.diploweb.com

[29] Conseil de l’Union européenne, Memorandum of Understanding between the European Commission, the government of the Republic of Moldova and the government of Ukraine on the European Commission Border Assistance Mission to the Republic of Moldova and to Ukraine, 7 octobre 2005

[30] Europol, Annual Report, 1998

[31] Hervé Boullanger, La criminalité économique en Europe, éd. Presses Universitaires de France, coll. « Criminalité internationale », juin 2002, 255 p. Préface de Nicole Fontaine

[32] Ibid.

[33] Osservatorio sui Balcani, Oltre il muro di Schengen, 01.07.2003 (traduit de l’italien par l’auteur)

[34] Kalman Mizsei, représentant spécial de l’Union, en poste depuis le 15 février 2007. voir sur http://ue.eu.int/showPage.aspx?id=263&lang=FR

[35] Hayder Mili, « L’Asie centrale, plaque tournante du trafic de drogue », Le Courrier des pays de l’Est, n° 1057 – septembre-octobre 2006 (16 pages)

[36] COMMISSION EUROPEENNE, Plan d’action en matière de lutte contre la drogue (2000-2004),

[37] Voir http://europa.eu/scadplus/leg/fr/cha/c22569.htm

[38] Commission européenne, préparer la voie pour un nouvel instrument de voisinage, Bruxelles, 1er juillet 2003

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L’Ukraine : entre Fédération Russe et Union européenne, un choix impossible?

Les dernières négociations entre l’Union européenne et l’Ukraine ont amené à une déclaration commune entre dirigeants européens et Ukrainiens mettant en avant « une histoire commune ».

Une Histoire commune ? Il est révélateur que le Président Ukrainien Iouchtchenko présent à cette réunion soit issus d’un parti politique qui est déjà nommé par tout les faiseurs d’opinion européenne comme « pro-européen », sans doute à opposé au parti des Régions de Viktor Ianoukovytch qui lui se réclame de la Russie.

A l’Ouest du Dniepr, fleuve qui coupe en deux le pays, c’est le parti Orange, pro-Europe, à l’Est, c’est le parti des Régions. A l’Est, une Ukraine russophone, à l’Ouest ukrainophone. La crise qui secoue le pays depuis juillet et qui s’est concrétisée par la dissolution du parlement ce 8 octobre, dissolution prononcée par Iouchtchenko illustre les difficultés que rencontre ce pays aux marges de l’Union européenne.

Pour comprendre cette situation, un peu d’histoire est nécessaire.

Une Histoire commune avec l’Europe ?

L’Ukraine est partagée entre mondes Russes et Européens en 1667, lors du traité d’Androussovo. Dès cette date, sous le règne d’Alexis Ier (1645-1676), l’Ukraine commença à subir l’influence de la langue russe. La Russie prit le contrôle de la rive gauche du Dniepr y compris Kiev et reconnut les droits de la Pologne sur la rive droite du fleuve.

Selon les termes du traité, l’Ukraine est divisée par le Dniepr : la Russie reçoit la portion est de l’Ukraine, la ville de Kiev, et les provinces de Smolensk et Seversk. Cette trêve fut confirmée par un traité conclu en 1686.

Lors des partages de la Pologne entre 1790 – 1795 l’ouest de l’Ukraine fut soumis à la tutelle des Habsbourg, et il fut autorisé à développer sa culture et sa langue nationales, surtout après la Constitution de 1867. Dès le XVIIIe siècle, les Ukrainiens purent développer leurs propres écoles qui enseignaient en ukrainien. L’impression des journaux en ukrainien fut autorisée à partir de 1848. La Galicie et, dans une moindre mesure, la Bucovine devinrent en quelque sorte le terrain fertile des revendications des Ukrainiens en faveur de leur langue. Il faut préciser que, de la part de l’Empire austro-hongrois, l’usage de l’ukrainien constituait un moyen d’enrayer la propagande panslaviste de Saint-Pétersbourg.

Par contre, l’Est et le Sud subirent la russification des tsars, puis des Soviétiques. Durant deux siècles d’occupation, les décrets (oukazy) se succédèrent pour limiter, voire interdire l’usage de la langue ukrainienne. Pour les tsars, l’ukrainien était perçu non seulement comme un «dialecte inférieur au russe», mais aussi comme un «dialecte de transition» entre le polonais et le russe pour susciter l’agitation politique. C’est pourquoi les tsars pratiquèrent une vigoureuse politique de russification à l’égard de l’ukrainien. En 1863, le ministre russe de l’Intérieur d’Alexandre II (1855-1881), Pyotr Valuev, publia une circulaire interdisant l’impression de documents pédagogiques et de livres religieux (y compris la Bible) et populaires en ukrainien. C’est à lui qu’on doit cette formule célèbre: «Il n’y a jamais eu de langue ukrainienne, il n’y en a jamais eu et il n’y en aura jamais.» Seules les oeuvres littéraires furent tolérées. L’enseignement en ukrainien dans les écoles fut simplement interdit. Ces dispositions furent encore renforcées par l’oukase d’Ems du 18 mai 1867, qui interdit l’importation de livres en ukrainien dans l’Empire russe ainsi que l’impression de textes originaux ou de traductions en ukrainien, sauf pour les documents historiques (sans adopter l’orthographe ukrainienne moderne) et de certains romans (sous réserve d’adopter l’orthographe russe). Ce ne fut pas tout, car les représentations théâtrales furent interdites en 1876, ainsi que toute déclamation et lecture publique, sans oublier l’édition des partitions musicales en ukrainien. Puis la chaire d’ethnographie de l’Université de Kiev fut supprimée. Si la politique réformiste d’Alexandre II avait pour objectif l’alphabétisation des campagnes, elle devait exclure les Ukrainiens. De fait, à la fin du XIXe siècle, les Ukrainiens formaient une classe sociale essentiellement rurale, l’ukrainien étant considéré comme la langue de ruraux incultes.

Proclamée en novembre 1917, la  République autonome ukrainienne eut à faire face à la  République soviétique d’Ukraine soutenue par les bolcheviques. La Russie soviétique créa en 1922 la République socialiste soviétique d’Ukraine. L’Ukraine de l’Ouest et l’Ukraine du Sud-Est furent réunies et annexées à l’URSS.

Les diverses nationalités de l’URSS obtinrent aussitôt le droit d’utiliser leur langue dans les écoles et les administrations locales. C’est ainsi que l’ukrainien fut introduit dans les écoles primaires en 1921. L’ukrainisation favorisa une certaine consolidation de la nation ukrainienne et davantage de citoyens s’intéressèrent à la langue nationale.

À partir des années trente, c’est-à-dire sous Staline, les succès relatifs de l’ukrainien furent arrêtées net. La répression commença à s’exercer contre les Ukrainiens et les membres des minorités nationales. Dès 1933, des politiques d’épurations furent engagées par les Russes. Toutes les concessions linguistiques et culturelles accordées aux nationalités non russes furent réduites à néant par une politique agressive de russification

Puis l’Ukraine devint la cible préférée des mouvements de migration décidés par Moscou. Dès que les Soviétiques construisaient une usine en Ukraine, presque toujours dans l’Est et le Sud, ils faisaient venir des Russes. Le nombre de Russes fut multiplié par trois: de 8,2 % en 1920, ils passèrent à 16,9 en 1959 avant d’atteindre 22,1 % en 1989. Progressivement, se sont façonné des mentalités entre l’Ouest et l’Est, qui n’ont pas évolué au même rythme. Le russe réussit à reléguer l’ukrainien à l’arrière-plan social, surtout à l’est du fleuve Dniepr, avec comme résultat que le russe a fini par s’imposer dans toute l’Ukraine, notamment dans les domaines de la politique, de l’économie, de l’enseignement supérieur, etc. Le russe devint le symbole de la réussite sociale, de l’instruction et de l’intégration urbaine.

Depuis l’indépendance de 1991, le pays a perdu plus de 60 % de son PNB et la moitié de la population vit sous le seuil de la pauvreté. La situation paraissait d’autant plus grave que, en une dizaine d’années de présidence, Leonid Koutchma, un dirigeant népotique qui parlait fort mal l’ukrainien, n’a rien fait pour améliorer le sort des démunis. Il a préféré veiller sur la fortune de sa famille, alors que la criminalité organisée devenait la nouvelle force motrice de l’Ukraine indépendante.  Avant son élection, Koutchma avait promis de faire du russe une «langue officielle» en conservant à l’ukrainien le statut de «langue d’État», la distinction entre les deux termes étant peu significative (elle ne l’est pas en français). Mais le président n’a jamais tenu sa promesse, bien qu’il ait rappelé en décembre 2001 que le russe ne devait pas être considéré en Ukraine comme une «langue étrangère». En réalité, Koutchma savait bien que le russe avait le statut de langue co-officielle de facto.

Les résultats du deuxième tour de l’élection présidentielle, suivis de manifestations pacifiques massives et de contestations judiciaires – la « révolution orange » – ont été invalidés par la Cour suprême d’Ukraine. Le 26 décembre 2004, un nouveau scrutin, jugé juste par les observateurs internationaux, a conduit à l’élection de Viktor Iouchtchenko.

L’Ukraine : Russe ou Européenne ?

L’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie à l’Union européenne et à l’OTAN et le conflit  Russo-géorgien donne à la situation de l’Ukraine un aspect à la fois dramatique et porteur d’avenir.

Dramatique car le pays de par son découpage ethno-linguistique est divisé, porteur d’avenir car il pourrait devenir incontournable dans les relations à l’échelle régionale autour de la Mer Noire entre une Union européenne désireuse de stabiliser son voisinage et un Russie sourcilleuse quand il s’agit de son « proche étranger ».

D’ailleurs la Commission ne s’y est pas trompée en faisant des avances très favorables à l’Ukraine sur un accord d’association entre l’UE et Kiev qui serait un prélude à une éventuelle adhésion.

Alors l’Ukraine, européenne ? Quand est il de sa partie Est ? Les habitants de Kharkiv, des campagnes du Lougansk se sentent ils européens ? Souhaitent-ils adhérer au projet européen ou bien retourner dans le giron de la « roudina » ?

Le problème de l’Est Ukrainien a été soulevé dès l’indépendance, un mouvement sécessionniste dirigé par des Russes se forma en Crimée. La Crimée proclama même son indépendance, mais celle-ci fut finalement abrogée en mai 1992. Puis, le même mois, le Parlement de la fédération de Russie déclara nul et caduc le transfert de 1954 qui rattachait la Crimée à l’Ukraine. Les Russes se ravisèrent et finirent par reconnaître la Crimée comme faisant partie de l’Ukraine. Dans l’état actuel des choses, la république de Crimée est une entité autonome, mais faisant partie «intégrante et inséparable» de l’Ukraine; elle est peuplée de Russes orthodoxes, d’Ukrainiens, de Tatars musulmans, et de quelques minorités grecques, bulgares et juives karaïtes. Plusieurs dispositions de la Constitution ukrainienne de 1996 — les articles 134 à 139 — sont consacrées à la République autonome de Crimée qui, par ailleurs, est dotée de sa propre constitution selon laquelle elle exerce le pouvoir dans des domaines comme la préservation de la culture. Il suffit aussi d’interpréter les cartes électorales pour la coupure entre l’Ouest et l’Est du pays, dans toutes les régions russophones, c’est le parti pro-russe qui est arrivé devant, tandis qu’à l’Ouest c’est le parti pro-européen.

Le pouvoir Ukrainien conscient de ce problème adopta rapidement le multiculturalisme. Kiev tente de tenir compte des intérêts des différents groupes et tente de trouver des solutions afin d’équilibrer les rapports de force entre les groupes. Ce n’est pas facile dans la mesure où les russophones forment une «minorité» numérique, mais font partie de la «majorité fonctionnelle» avec les ukrainophones. Fonctionnelle car les russophones font partie intégrante de la structure politique et économique du pays. L’État n’ignore pas que tous les Ukrainiens, même ceux d’origine ukrainienne, ne parlent pas tous l’ukrainien; pour beaucoup d’Ukrainiens, c’est encore la langue des villages ou de leur grand-mère. Bref, l’État ukrainien ne peut tout miser sur la langue ukrainienne, car ce serait irréaliste. Il doit choisir la voie du multilinguisme stratégique tout en accordant la priorité à la langue officielle du pays. N’oublions pas que, exception faite de l’école et des organismes publics, toute l’économie est restée largement russophone. Là encore un héritage de l’Histoire.

L’influence Russe

Cette division serait surmontable s’il n’y avait pas le tropisme qu’exerce sur ses populations russophones une Russie redevenue puissante et une certaine nostalgie de l’ère soviétique.

Que l’on pense aux interventions russes dans l’élection de 2004, les tentatives d’empoisonnement du pas encore président Viktor Iouchtchenko, les crises gazières à répétition depuis 2005 montrent bien les tentatives d’influences de la Russie sur le pays.

Mais il faut noter que la dernière crise, de 2008 est née alors que le contexte politique entre les deux pays est très largement orienté vers l’apaisement, même si les relations politiques entre Kiev et Moscou restent difficiles. En effet s’il y a bien une crispation sur le plan énergétique, cela n’est pas le cas sur le plan politique. On sent que l’Ukraine, cette fois-ci, cherche à ne pas irriter la Russie.

En 2006, ce type de gestes n’existait pas, la confrontation était beaucoup plus frontale. La Russie avait vécu la révolution Orange en Ukraine comme un véritable échec de sa politique extérieure. Moscou était alors peu enclin à répondre aux exigences ukrainiennes. Cette année, si le dossier gazier reste soumis à des considérations politiques, les négociations sont beaucoup plus dépassionnées qu’en 2006. Et l’Ukraine a en mains des cartes qu’elle n’avait pas à cette époque.

Et il faut rajouter que ce sont les dissensions entre les deux têtes de l’exécutif qui nuisent à la stabilité du pays et non pas une lutte entre l’opposition, représenté par le Parti des Régions et l’alliance Iouchtchenko- Timochenko.

Cependant des interactions entre cette crise gazière et les dossiers liés à l’OTAN et à l’OMC sont manifestes.
Des interactions qui s’avèrent d’ailleurs favorables à l’Ukraine. Jusqu’à présent, l’Ukraine restait dans les pas de la Russie en matière d’accords internationaux. Ceux-ci étaient d’abord signés ou ratifiés avec la Russie avant de l’être avec l’Ukraine[1].
Le fait que l’Ukraine devance la Russie dans le processus d’intégration à l’OMC change la donne. D’autant que lorsque Kiev siégera au sein de cette instance, elle devra se prononcer sur l’intégration de la Russie. M. Iouchtchenko a d’ores et déjà fait savoir qu’il n’utiliserait pas ce pouvoir de pression. Même constat concernant l’OTAN et les déclarations du Président ukrainien indiquant que la Constitution serait si nécessaire changée pour interdire le déploiement de bases étrangères sur son territoire. De quoi réconforter Moscou.

L’Ukraine sort ainsi renforcée, d’autant que, contrairement à la Russie, les négociations avec l’Union européenne concernant un accord de coopération plus étoffé sont lancées depuis mars dernier.

Une Russie inquiétante ?

Mais les événements de Géorgie pourraient remettre à plat cette politique. En effet en pleine crise politique intérieure, le camp du président pro-occidental Viktor Iouchtchenko dénonce l’impérialisme de Moscou, qui délivrerait de nombreux passeports russes en Crimée. La question de la délivrance de passeports russes en Ukraine, et notamment en Crimée, figure au premier rang des préoccupations des partisans du président Viktor Iouchtchenko. Ce dernier manifeste sur ce sujet une vive inquiétude, selon plusieurs déclarations de responsables ukrainiens. En fait, les tensions russo-ukrainiennes sont renforcées par la question de la renégociation du traité d’amitié russo-ukrainien de 1997 – intitulé Grand Traité – qui a été prorogé début octobre pour une période de 10 ans. La résiliation du Grand traité aurait porté un coup moins important à Kiev qu’à Moscou. En effet, la non prorogation du traité n’aurait pas permis à la Russie d’avoir une marge de manœuvre supplémentaire pour de nouvelle revendication territoriale. La Russie déploie de grands efforts en vue de prouver au monde que les événements dans le Caucase et la reconnaissance de l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie sont une exception, et l’Occident fait de même à l’égard du Kosovo. Si la Russie avait osé résilier le traité, cela aurait remis en question l’importance de l’ensemble des traités que signe la Russie et le pays se trouve déjà assez isolé comme cela.

Par ailleurs, selon le diplomate ukrainien Iouri Chtcherbak, environ 180 000 personnes en Crimée posséderaient un passeport russe. « Les autorités ukrainiennes ne cachent pas qu’elle craignent une répétition des scénarios abkhaze et ossète », affirme l’agence polonaise PAP, citée par tous les médias de Varsovie. Surtout en Crimée, dominée par la population russophone. Selon la Constitution de 1996, la citoyenneté ukrainienne est exclusive. Pour avoir un autre passeport, il faut d’abord renoncer à la citoyenneté ukrainienne. Selon Sergueï Koulyk, chef du Centre d’études géopolitiques Nomos, à Sébastopol, la double nationalité concerne environ 40 000 personnes en Crimée. Ce sont avant tout les marins de la Flotte de la mer Noire russe et leurs familles. Comme il l’explique, la question s’est déjà posée eu début des années 1990, où les Etats indépendants se sont créés sur les décombres de l’Union soviétique, parmi lesquels la Russie et l’Ukraine[2].

Envenimées par la crise géorgienne d’aout, les relations russo-ukrainiennes sont au plus bas. Dans l’attente d’un changement de pouvoir à Kiev (une présidentielle est prévue en 2009), Moscou mise sur Ioulia Timochenko et tire à boulets rouges sur le président Iouchtchenko, qualifié jeudi de « fripouille » par Vladimir Poutine. Le premier ministre russe a accusé au passage l’Ukraine d’avoir livrée des armes à la Géorgie pendant le conflit du mois d’aout, un « crime » selon lui[3].

Et il se demande ouvertement si les accords trouvés au début du mois d’octobre sur le gaz auront une suite à cause de l’instabilité politique ukrainienne.

Le Kremlin dispose donc de plusieurs outils pour influer sur l’Ukraine, le gaz, la forte minorité russophone à l’est du pays et la présence de sa flotte à Sébastopol.

L’action de l’Union Europeenne en Ukraine

De son coté l’Union européenne semble développer une stratégie sur quatre volets avec le pays.

Le premier est bien sûr le volet énergétique. Le débat européen sur l’énergie se focalise le plus souvent sur la question des approvisionnements.

Un œil sur une carte des oléoducs alimentant l’Europe montre bien l’interdépendance actuelle de la Russie et de l’Union. Si l’Europe peut acheter son gaz en Russie (mais aussi en Norvège ou en Algérie), la Russie le vend prioritairement à l’Europe. Les projets d’oléoducs et de gazoducs vers la Chine ou le Japon sont nombreux, mais ne sont aujourd’hui que des projets. On assiste donc bien à une interdépendance des Européens et des Russes, de ce point de vue.

Et l’on voit ainsi le rôle pivot joué par l’Ukraine dans l’approvisionnement énergétique européen.

L’Ukraine est le principal point de passage du gaz russe vers l’Union européenne (80%) et l’un des verrous de l’approvisionnement global européen (40% du total du gaz consommé dans l’UE). Ces chiffres illustrent à eux seuls l’importance stratégique de ce pays pour l’Union européenne comme pour la Russie. Au moment où la situation politique ukrainienne est de plus en plus confuse, la question se pose pour les Européens de savoir comment stabiliser cette région vitale[4]. Cette stabilisation pourrait passer par une adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne, ou par une forme de « super-association ». Quels en seraient les avantages ?

Tout d’abord, la sécurité énergétique de l’Europe s’ouvrirait de nouveaux horizons.
La première serait un meilleur contrôle des réseaux d’approvisionnement européens. Tout comme Gazprom essaie de descendre les tuyaux des lieux de production aux maisons individuelles européennes, les Européens pourraient tenter de faire le chemin inverse et de remonter le plus loin possible vers le lieu de production, chemin sur lequel l’Ukraine est une étape obligatoire. Cette remontée devrait aussi permettre une remise en état du réseau ukrainien qui en a bien besoin et qui nécessiterait environ 2.5 milliards d’euros d’investissements.

Le second avantage d’une forme d’association ou d’adhésion serait de stabiliser le pays, notamment en exigeant plus de transparence dans le secteur du gaz. L’Ukraine est le pays du gaspillage : son économie est le plus gourmande du monde et le pays consomme plus de gaz que le Japon ou même que l’Afrique dans son ensemble !

L’opacité des réseaux, de la distribution et des intermédiaires sont autant de facteurs de corruption et de pression sur la vie politique ukrainienne. Le règlement de la question gazière sur le long terme est l’enjeu principal. Gazprom, tout comme l’Ukraine, aspire à une telle perspective. Sur ce point, l’élimination des sociétés intermédiaires au fonds et structures douteuses comme RosUkrEnergo est un facteur essentiel pour que les deux partenaires gaziers – Gazprom et Naftogaz – parviennent à établir des relations commerciales durables. C’est d’ailleurs l’un des principaux sujets qu’est venu évoquer la Premier Ministre Ukrainienne avec son homologue russe début octobre, c’est aussi sur cette question que se trouvent les principales frictions entre les deux tête du pouvoir en Ukraine.

En effet, le pays n’a pas encore pris le problème de la réduction de sa dépendance au gaz à bras-le-corps. Il connaît une « malédiction du gaz bon marché » : entre 1998 et 2005, Kiev a payé ses 1000 m3 de gaz environ 50 dollars contre 192 en Europe de l’Ouest. Le pays a donc profité de son « avantage comparatif » et s’est concentré sur des secteurs à forte consommation d’énergie comme l’agriculture et la sidérurgie. Aujourd’hui cet avantage s’est transformé en forte dépendance et le système de corruption qui s’est développé autour de son opacité est un vecteur de déstabilisation permanente pour le pays. La mise en application des règles européennes en termes d’économies d’énergie ou de transparence des marchés publics seraient un puissant levier de stabilisation de l’Ukraine.

Vues sous leurs angles énergétiques, une « super association » ou une adhésion pour l’Ukraine seraient très bénéfiques pour l’Europe. D’autant que cette solution suscite moins d’hystérie à Moscou que la perspective d’une adhésion à l’OTAN.

Le second volet est la transition démocratique. En Ukraine, il y a des tensions dues à la dissolution du Parlement décidée par le Président pro-européen Ioutchenko. Il y a toujours un risque de trouble dans le pays ou de fin de l’expérience démocratique menée depuis la Révolution Orange.

Les gouvernants ukrainiens ont entrepris de faire de l’Union Européenne une perspective pour sortir le pays de la crise permanente. Cela ne signifie pas que l’idée de l’intégration dans les structures européennes ne soit apparue que maintenant.

Les relations entre l’Ukraine et l’Union européenne ont été réglées en 1998, par un Accord de Partenariat et de Coopération (APC). Un an après (en 1999), le conseil européen d’Helsinki a adopté une stratégie commune de l’Union Européenne envers l’Ukraine. Mais ce qui n’a pas été possible au temps du régime de Leonid Koutchma, est devenu une devise de la révolution orange. Aujourd’hui, l’adhésion à l’Union Européenne représente un objectif stratégique de l’Ukraine et une priorité de sa politique étrangère. Pourquoi ?

Tout d’abord, parce que le fait d’être reconnue par les pays d’Europe occidentale comme un partenaire européen, et d’être intégrée dans les structures politiques et économiques européennes, représente pour l’Ukraine la meilleure garantie possible de son indépendance. Craignant une réintégration à la Russie (à l’instar de ce que risque la Biélorussie). Le soutien de l’Europe dans le processus d’assainissement de l’économie ukrainienne, ainsi que l’établissement des relations économiques bilatérales jouent ici un rôle marquant. Les dirigeants ukrainiens comptent sur une assistance réelle de la part de l’Union européenne. Elle espère profiter de la même solidarité que les anciens pays de l’Est au moment de leur intégration à l’Union européenne[5].

Mais sur ce sujet les pays européen sont divisés.
Si la Pologne, la République tchèque, les Pays Baltes, le Royaume-Uni et la Suède soutiennent la volonté d’intégration à l’UE des Ukrainiens, l’Allemagne, l’Autriche et le Benelux  n’y sont pas favorables et craignent que la proposition « d’accord d’association » n’ouvre la voie à l’adhésion automatique de ce pays à l’UE.

Les discussions autour de l’accord d’association, qui a été proposé ce mardi 9 septembre à l’Ukraine, ont été tendues. L’Union européenne et l’Ukraine se sont engagées à Paris à conclure en 2009 un ambitieux accord d’association, sans se prononcer sur l’adhésion future de l’ex-république soviétique à l’UE. La déclaration finale qualifie l’Ukraine de « pays européen », qui « partage avec les pays de l’Union européenne une histoire et des valeurs communes. » L’UE déclare « prendre acte des aspirations européenne de l’Ukraine ».

Le futur accord d’association se traduira par un renforcement des relations politiques et économiques entre l’UE et l’Ukraine et permettra « une convergence plus grande » de leurs politiques étrangère et de sécurité, précise la déclaration conjointe.

Il mènera à l’établissement d’une zone de libre échange, avec un rapprochement de l’appareil réglementaire ukrainien des normes européennes, et contribuera à « une intégration graduelle de l’Ukraine » au marché intérieur de l’UE.

Deux questions ont fait débat : la mention de l’identité européenne de l’Ukraine et les dispositions concernant les visas.
Dans une lettre adressée au Yalta European Strategy (un réseau européen favorable à l’entrée de l’Ukraine dans l’UE), le 11 juillet, Nicolas Sarkozy avait annoncé : « Avec ce nouvel accord, le rapprochement entre l’Union européenne et l’Ukraine se poursuivra en prenant en compte pleinement l’identité européenne et le choix européen de l’Ukraine. »
L’Ukraine plaide également pour que l’accord des visas européens soit facilité. Mais le Portugal, l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie se sont montrés réticents, refusant un dialogue trop précipité par crainte d’une augmentation des flux migratoires. L’accord d’association ne règlera donc pas cette question[6].

En attendant, l’Accord d’association ne pourra être conclu au plus tôt qu’en 2009, estime la présidence de la République française. L’UE et l’Ukraine sont liées juridiquement depuis le 1er mars 1998 par un accord de partenariat et de coopération, et depuis 2004 par la politique européenne dite « de voisinage », qui a abouti en février 2005 à la conclusion d’un plan d’action pour une durée de trois ans.

L’objectif de ce plan d’action est d’intensifier la coopération politique entre l’UE et l’Ukraine, à laquelle il est offert une perspective de participation au marché intérieur européen et aux programmes et politiques communautaires.

Ainsi avant de parler d’adhésion l’UE développe une stratégie d’alignement de l’Ukraine sur ses standards qui renforcerait son adhésion à la démocratie et aux valeurs européennes.

Cet accord a été négocié sur fond de crise du Caucase et le problème des « Conflits gelés » dans la région.

Dans le règlement de ces conflits, l’Europe pourrait s’appuyer sur une Ukraine stabilisé et prospère, capable de jouer véritable rôle dans la région de la Mer Noire. Et si l’UE peut jouer un rôle de médiateur entre la Russie et l’Ukraine, l’Ukraine pourrait jouer un rôle notamment dans le règlement du conflit Moldave en liaison avec l’UE et la Russie. Mais seule une Ukraine démocratique, stable, assurer dans ses frontières pourraient remplir un tel rôle.

Une Ukraine qui aurait choisie sa voie. L’Union dans ce choix peut jouer un rôle de tuteur, on le voit la puissance douce de l’Union a plus influer en 10 ans sur le développement de l’Ukraine comme un État en transition économique, démocratique, capable d’agir dans la communauté internationale que presque 20 ans d’ingérence Russe.

Mais si l’Ukraine tente de se raccrocher aux institutions euro-atlantique on a pu noter un regain dans les relations politiques entre les deux pays avant que l’affaire géorgienne n’éclate. Ce regain, voulu par les gouvernant Ukrainien dénote aussi d’une tentative qui se veut balancer mais assumé. Tout en se rapprochant de l’Union et de l’OTAN, l’Ukraine essait d’établir des relations de bon voisinage avec la Russie.

Le choix ne peut donc pas tout à fait être tranché. L’Ukraine, par l’histoire et la géographie ne peut tout simplement pas se détourner complètement de la Fédération de Russie. Ainsi, les cassandres qui nous annoncent le retour d’une guerre froide, oublient que dans tout cet espace post-soviétique dont l’Ukraine n’est qu’une partie, les interdépendances entre les deux anciens blocs sont devenues tellement forte qu’un retour à une opposition aussi frontale que la guerre froide est simplement impossible. Dans ce contexte, la position de l’Ukraine, entre Russie et Union européenne est tout à fait capitale. Elle apporte à l’Union Européenne un champ d’expérimentation et de mise en application de son « soft power » et un relai pour sa politique vis-à-vis de toute la région y compris la Russie et cela en toute indépendance par rapport aux États-Unis d’Amérique.

Conclusion

L’Ukraine ne peut rester une sorte d’État tampon, entre Union Européenne et Fédération de Russie, tiraillée entre son Ouest europhile et son Est russophone. Cette situation est déstabilisante pour elle-même mais aussi pour son voisinage. Or, l’Ukraine, de par son importance stratégique, sa position sur la Mer Noire, ses ressources et son potentiel économique ne peut pas rester à cheval entre Russie et Europe.

La première voie consisterait à pérenniser la situation actuelle, le pays à la fois dedans est dehors des grandes institutions euro-atlantiques. Dedans car associé aux prises de positions communes et invité à participer aux opérations de maintien de la paix et militaire de l’OTAN ou de la PESC. Dehors car elle ne serait pas dans les cadres institutionnels et serait seulement « associée ». Nul doute que même cette posture là ne conviendrait pas à la Russie et mettrait l’Ukraine en porte à faux avec ses « alliés », ainsi si demain éclate une nouvelle crise en Asie centrale ou dans le Caucase qui impliquerait la Russie, qu’elle serait la position de l’Ukraine ? Sachant qu’elle ne serait pas protégée par l’article V du traité de l’atlantique nord ou par une future clause de solidarité européenne ? Ou alors, est ce que l’Ukraine resterait neutre vis-à-vis des actes de la Russie, par « peur » ?

Intégrer l’Ukraine à la fois dans l’OTAN et l’Union ? Quelle serait la réaction de la Russie ? L’OTAN au sommet d’avril 2008 a assuré à l’Ukraine qu’elle avait toute sa place dans l’Alliance mais que ce ne serait pas pour tout de suite, ce report ayant été obtenu par la France et l’Allemagne soucieuse de ne pas froisser plus la Russie. Le faire quand même serait donné un casus belli à la Russie contre l’Ukraine. Elle risquerait aussi de faire de la Russie un voisin encore plus difficile voire hostile pour l’Union européenne. Alors même que les deux sont très interdépendants, l’un au niveau énergétique l’autre au niveau technologique. Cette décision aurait des conséquences jusqu’en Asie centrale pour la coopération entre Russe et Américain contre le terrorisme et amènerait la Russie à durcir sa lutte contre l’influence Américaine en Asie centrale, tout en empêchant les européens de s’y implantés.

Pourrait alors se dégager une autre solution, l’intégration dans l’Union mais pas dans l’OTAN, cela serait envisageable. Mais les russes ne seraient pas dupes, intégrée à la PESC et à la défense européenne, l’Ukraine serait de facto intégrée à l’OTAN. En effet, comme la présenté depuis plusieurs mois le président Français, la PESC serait un pilier de l’OTAN de ce coté ci de l’atlantique. Ainsi, l’Ukraine dans le cadre de l’Union serait de fait un membre de l’alliance. Les Russes ne réagiraient pas ?

La quatrième option serait l’entente régionale, un espace économique et politique de la Mer Noire. Sans la Russie, ni l’Union européenne. Une sorte d’espace intermédiaire qui irait de Minsk à Erevan. Mais plusieurs inconnues pèsent sur cette option. La tentative du GUAM[7] par exemple ne s’est soldée par aucune réalisation concrète à part peut être d’augmenter la défiance de la Russie vis-à-vis de ses anciennes républiques. Les objectifs du GUAM semblaient être la réduction de la dépendance énergétique de la Russie non seulement des Etats membres de l’organisation mais aussi de l’Union européenne. Mais l’Arménie a toujours une forte dépendance vis-à-vis de la Russie non seulement aux niveaux énergétique mais aussi militaire des soldats Russes sont toujours stationnés dans la base de Gumri. La Biélorussie quand à elle semble totalement dans la flou, d’un coté elle a signé un traité d’Union en 1997 avec la Russie mais d’un autre coté la pouvoir autoritaire de Minsk semble se complaire dans l’isolement et ne cherche pas vraiment à faire de mouvement ni vers l’Ouest ou le Sud et de fait reste un satellite de la Russie. Enfin, la Turquie,  si finalement elle est refusée dans l’Union européenne, ne serait elle pas à l’aise dans un espace qu’elle connait bien et dont elle est déjà l’un des piliers. Par exemple l’Organisation de coopération économique de la Mer Noire, seule organisation régionale qui est une réelle importance a son siège à Istanbul. D’ailleurs cette organisation aurait pu être une porte de sortie pour le future géopolitique de l’Ukraine mais la présence de deux pays de l’Union européenne et de la Russie rende caduque d’éventuelle évolution politique de l’OCEMN.

La cinquième  option, la plus dangereuse, mais peut être pas la plus improbable. Au vue des événements de Géorgie et la reconnaissance unilatérale de l’Abkhazie et de l’Ossétie par la Russie, existe en Ukraine des éléments sécessionnistes en Crimée notamment. Nous l’avons vue la Crimée pourrait être tentée de rejoindre la Fédération Russe voire devenir indépendante et

être soutenue par la Russie. Une telle éventualité n’est pas à écarter, il n’y à qu’a voir au cœur de l’Europe où l’idée d’une séparation de la Belgique n’est plus jugé si farfelu. Reste à savoir si il existe assez de ressort dans le pays pour une telle solution et si ce divorce se fera dans la douleur ou à l’amiable. Et comment réagiront la Russie, les États-Unis et surtout l’Union européenne.

Enfin la dernière option est peut être la plus utopique, réhabiliter la « Maison commune » chère à Mikhaïl Gorbatchev. Redonner à la Russie et à tout l’ancien espace soviétique une place sur le continent européen.

Le nouveau contexte géopolitique a remis en cause l’espace stratégique russe: elle n’a plus qu’un accès limité à la mer Baltique et ne peut plus tirer avantage de la situation stratégique de « fenêtre » sur l’Europe qu’offrait l’Ukraine. L’extension de l’OTAN accentue encore ce sentiment de défaite. Elle attise les penchants paranoïaques des Russes en ravivant la crainte historique de l’encerclement par des puissances adverses. Se reconnaître Européen, n’était-ce pas le moyen d’obtenir une aide substantielle des autres “Européens”, ceux de l’Ouest, au nom d’une certaine solidarité? Or, loin de les accueillir et de réaliser par là la “maison commune”, l’Occident semble avoir adopté une politique d’isolement de la Russie afin de se prémunir de tous ses problèmes internes.

Mais si demain, l’Europe changeait de stratégie, en s’affirmant comme pôle mondial, capable de pourvoir à sa propre défense, elle n’aurait alors plus à craindre le grand voisin russe. Le président Medvedev n’y a-t-il pas fait allusion en parlant d’un espace de sécurité de « Vladivostok à Vancouver ».

Alors l’Ukraine n’aurait plus à « choisir » entre deux parts qui sont, en fin de compte, partie intégrante de son histoire et de son identité.


[1] Laure Delcour, Directrice de recherche à l’IRIS, « La crise gazière ukraino-russe est plus dépassionnée qu’en 2006 », interwiew accordé au Bulletin de l’Industrie Pétrolière, 07 avril 2008

[2] Courrier International, « Moscou compte-t-il annexer la Crimée ? », 12 sept. 2008

[3] Marie Jégo, « Moscou soutient Mme Timochenko contre le président ukrainien Iouchtchenko », LE MONDE, 5 Octobre 2008

[4] Philippe Perchoc, « Ukraine et Turquie dans l’UE : la clef de l’indépendance énergétique ? », nouvelle-europe.eu, 13 octobre 2008

[5] Katarzyna Korolko, « Comment l’Europe peut aider l’Ukraine à conserver les acquis de la Révolution Orange ? », Le Taurillon, www. taurillon.org, 18 juin 2007

[6] http://www.euractiv.fr

[7] Géorgie, Ukraine, Arménie, Moldavie : Le GUAMOrganisation pour la démocratie et le développement est une organisation internationale de coopération à vocation régionale regroupant quatre Etats participant à la Communauté des États indépendants.

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