Les dernières négociations entre l’Union européenne et l’Ukraine ont amené à une déclaration commune entre dirigeants européens et Ukrainiens mettant en avant « une histoire commune ».
Une Histoire commune ? Il est révélateur que le Président Ukrainien Iouchtchenko présent à cette réunion soit issus d’un parti politique qui est déjà nommé par tout les faiseurs d’opinion européenne comme « pro-européen », sans doute à opposé au parti des Régions de Viktor Ianoukovytch qui lui se réclame de la Russie.
A l’Ouest du Dniepr, fleuve qui coupe en deux le pays, c’est le parti Orange, pro-Europe, à l’Est, c’est le parti des Régions. A l’Est, une Ukraine russophone, à l’Ouest ukrainophone. La crise qui secoue le pays depuis juillet et qui s’est concrétisée par la dissolution du parlement ce 8 octobre, dissolution prononcée par Iouchtchenko illustre les difficultés que rencontre ce pays aux marges de l’Union européenne.
Pour comprendre cette situation, un peu d’histoire est nécessaire.
Une Histoire commune avec l’Europe ?
L’Ukraine est partagée entre mondes Russes et Européens en 1667, lors du traité d’Androussovo. Dès cette date, sous le règne d’Alexis Ier (1645-1676), l’Ukraine commença à subir l’influence de la langue russe. La Russie prit le contrôle de la rive gauche du Dniepr y compris Kiev et reconnut les droits de la Pologne sur la rive droite du fleuve.
Selon les termes du traité, l’Ukraine est divisée par le Dniepr : la Russie reçoit la portion est de l’Ukraine, la ville de Kiev, et les provinces de Smolensk et Seversk. Cette trêve fut confirmée par un traité conclu en 1686.
Lors des partages de la Pologne entre 1790 – 1795 l’ouest de l’Ukraine fut soumis à la tutelle des Habsbourg, et il fut autorisé à développer sa culture et sa langue nationales, surtout après la Constitution de 1867. Dès le XVIIIe siècle, les Ukrainiens purent développer leurs propres écoles qui enseignaient en ukrainien. L’impression des journaux en ukrainien fut autorisée à partir de 1848. La Galicie et, dans une moindre mesure, la Bucovine devinrent en quelque sorte le terrain fertile des revendications des Ukrainiens en faveur de leur langue. Il faut préciser que, de la part de l’Empire austro-hongrois, l’usage de l’ukrainien constituait un moyen d’enrayer la propagande panslaviste de Saint-Pétersbourg.
Par contre, l’Est et le Sud subirent la russification des tsars, puis des Soviétiques. Durant deux siècles d’occupation, les décrets (oukazy) se succédèrent pour limiter, voire interdire l’usage de la langue ukrainienne. Pour les tsars, l’ukrainien était perçu non seulement comme un «dialecte inférieur au russe», mais aussi comme un «dialecte de transition» entre le polonais et le russe pour susciter l’agitation politique. C’est pourquoi les tsars pratiquèrent une vigoureuse politique de russification à l’égard de l’ukrainien. En 1863, le ministre russe de l’Intérieur d’Alexandre II (1855-1881), Pyotr Valuev, publia une circulaire interdisant l’impression de documents pédagogiques et de livres religieux (y compris la Bible) et populaires en ukrainien. C’est à lui qu’on doit cette formule célèbre: «Il n’y a jamais eu de langue ukrainienne, il n’y en a jamais eu et il n’y en aura jamais.» Seules les oeuvres littéraires furent tolérées. L’enseignement en ukrainien dans les écoles fut simplement interdit. Ces dispositions furent encore renforcées par l’oukase d’Ems du 18 mai 1867, qui interdit l’importation de livres en ukrainien dans l’Empire russe ainsi que l’impression de textes originaux ou de traductions en ukrainien, sauf pour les documents historiques (sans adopter l’orthographe ukrainienne moderne) et de certains romans (sous réserve d’adopter l’orthographe russe). Ce ne fut pas tout, car les représentations théâtrales furent interdites en 1876, ainsi que toute déclamation et lecture publique, sans oublier l’édition des partitions musicales en ukrainien. Puis la chaire d’ethnographie de l’Université de Kiev fut supprimée. Si la politique réformiste d’Alexandre II avait pour objectif l’alphabétisation des campagnes, elle devait exclure les Ukrainiens. De fait, à la fin du XIXe siècle, les Ukrainiens formaient une classe sociale essentiellement rurale, l’ukrainien étant considéré comme la langue de ruraux incultes.
Proclamée en novembre 1917, la République autonome ukrainienne eut à faire face à la République soviétique d’Ukraine soutenue par les bolcheviques. La Russie soviétique créa en 1922 la République socialiste soviétique d’Ukraine. L’Ukraine de l’Ouest et l’Ukraine du Sud-Est furent réunies et annexées à l’URSS.
Les diverses nationalités de l’URSS obtinrent aussitôt le droit d’utiliser leur langue dans les écoles et les administrations locales. C’est ainsi que l’ukrainien fut introduit dans les écoles primaires en 1921. L’ukrainisation favorisa une certaine consolidation de la nation ukrainienne et davantage de citoyens s’intéressèrent à la langue nationale.
À partir des années trente, c’est-à-dire sous Staline, les succès relatifs de l’ukrainien furent arrêtées net. La répression commença à s’exercer contre les Ukrainiens et les membres des minorités nationales. Dès 1933, des politiques d’épurations furent engagées par les Russes. Toutes les concessions linguistiques et culturelles accordées aux nationalités non russes furent réduites à néant par une politique agressive de russification
Puis l’Ukraine devint la cible préférée des mouvements de migration décidés par Moscou. Dès que les Soviétiques construisaient une usine en Ukraine, presque toujours dans l’Est et le Sud, ils faisaient venir des Russes. Le nombre de Russes fut multiplié par trois: de 8,2 % en 1920, ils passèrent à 16,9 en 1959 avant d’atteindre 22,1 % en 1989. Progressivement, se sont façonné des mentalités entre l’Ouest et l’Est, qui n’ont pas évolué au même rythme. Le russe réussit à reléguer l’ukrainien à l’arrière-plan social, surtout à l’est du fleuve Dniepr, avec comme résultat que le russe a fini par s’imposer dans toute l’Ukraine, notamment dans les domaines de la politique, de l’économie, de l’enseignement supérieur, etc. Le russe devint le symbole de la réussite sociale, de l’instruction et de l’intégration urbaine.
Depuis l’indépendance de 1991, le pays a perdu plus de 60 % de son PNB et la moitié de la population vit sous le seuil de la pauvreté. La situation paraissait d’autant plus grave que, en une dizaine d’années de présidence, Leonid Koutchma, un dirigeant népotique qui parlait fort mal l’ukrainien, n’a rien fait pour améliorer le sort des démunis. Il a préféré veiller sur la fortune de sa famille, alors que la criminalité organisée devenait la nouvelle force motrice de l’Ukraine indépendante. Avant son élection, Koutchma avait promis de faire du russe une «langue officielle» en conservant à l’ukrainien le statut de «langue d’État», la distinction entre les deux termes étant peu significative (elle ne l’est pas en français). Mais le président n’a jamais tenu sa promesse, bien qu’il ait rappelé en décembre 2001 que le russe ne devait pas être considéré en Ukraine comme une «langue étrangère». En réalité, Koutchma savait bien que le russe avait le statut de langue co-officielle de facto.
Les résultats du deuxième tour de l’élection présidentielle, suivis de manifestations pacifiques massives et de contestations judiciaires – la « révolution orange » – ont été invalidés par la Cour suprême d’Ukraine. Le 26 décembre 2004, un nouveau scrutin, jugé juste par les observateurs internationaux, a conduit à l’élection de Viktor Iouchtchenko.
L’Ukraine : Russe ou Européenne ?
L’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie à l’Union européenne et à l’OTAN et le conflit Russo-géorgien donne à la situation de l’Ukraine un aspect à la fois dramatique et porteur d’avenir.
Dramatique car le pays de par son découpage ethno-linguistique est divisé, porteur d’avenir car il pourrait devenir incontournable dans les relations à l’échelle régionale autour de la Mer Noire entre une Union européenne désireuse de stabiliser son voisinage et un Russie sourcilleuse quand il s’agit de son « proche étranger ».
D’ailleurs la Commission ne s’y est pas trompée en faisant des avances très favorables à l’Ukraine sur un accord d’association entre l’UE et Kiev qui serait un prélude à une éventuelle adhésion.
Alors l’Ukraine, européenne ? Quand est il de sa partie Est ? Les habitants de Kharkiv, des campagnes du Lougansk se sentent ils européens ? Souhaitent-ils adhérer au projet européen ou bien retourner dans le giron de la « roudina » ?
Le problème de l’Est Ukrainien a été soulevé dès l’indépendance, un mouvement sécessionniste dirigé par des Russes se forma en Crimée. La Crimée proclama même son indépendance, mais celle-ci fut finalement abrogée en mai 1992. Puis, le même mois, le Parlement de la fédération de Russie déclara nul et caduc le transfert de 1954 qui rattachait la Crimée à l’Ukraine. Les Russes se ravisèrent et finirent par reconnaître la Crimée comme faisant partie de l’Ukraine. Dans l’état actuel des choses, la république de Crimée est une entité autonome, mais faisant partie «intégrante et inséparable» de l’Ukraine; elle est peuplée de Russes orthodoxes, d’Ukrainiens, de Tatars musulmans, et de quelques minorités grecques, bulgares et juives karaïtes. Plusieurs dispositions de la Constitution ukrainienne de 1996 — les articles 134 à 139 — sont consacrées à la République autonome de Crimée qui, par ailleurs, est dotée de sa propre constitution selon laquelle elle exerce le pouvoir dans des domaines comme la préservation de la culture. Il suffit aussi d’interpréter les cartes électorales pour la coupure entre l’Ouest et l’Est du pays, dans toutes les régions russophones, c’est le parti pro-russe qui est arrivé devant, tandis qu’à l’Ouest c’est le parti pro-européen.
Le pouvoir Ukrainien conscient de ce problème adopta rapidement le multiculturalisme. Kiev tente de tenir compte des intérêts des différents groupes et tente de trouver des solutions afin d’équilibrer les rapports de force entre les groupes. Ce n’est pas facile dans la mesure où les russophones forment une «minorité» numérique, mais font partie de la «majorité fonctionnelle» avec les ukrainophones. Fonctionnelle car les russophones font partie intégrante de la structure politique et économique du pays. L’État n’ignore pas que tous les Ukrainiens, même ceux d’origine ukrainienne, ne parlent pas tous l’ukrainien; pour beaucoup d’Ukrainiens, c’est encore la langue des villages ou de leur grand-mère. Bref, l’État ukrainien ne peut tout miser sur la langue ukrainienne, car ce serait irréaliste. Il doit choisir la voie du multilinguisme stratégique tout en accordant la priorité à la langue officielle du pays. N’oublions pas que, exception faite de l’école et des organismes publics, toute l’économie est restée largement russophone. Là encore un héritage de l’Histoire.
L’influence Russe
Cette division serait surmontable s’il n’y avait pas le tropisme qu’exerce sur ses populations russophones une Russie redevenue puissante et une certaine nostalgie de l’ère soviétique.
Que l’on pense aux interventions russes dans l’élection de 2004, les tentatives d’empoisonnement du pas encore président Viktor Iouchtchenko, les crises gazières à répétition depuis 2005 montrent bien les tentatives d’influences de la Russie sur le pays.
Mais il faut noter que la dernière crise, de 2008 est née alors que le contexte politique entre les deux pays est très largement orienté vers l’apaisement, même si les relations politiques entre Kiev et Moscou restent difficiles. En effet s’il y a bien une crispation sur le plan énergétique, cela n’est pas le cas sur le plan politique. On sent que l’Ukraine, cette fois-ci, cherche à ne pas irriter la Russie.
En 2006, ce type de gestes n’existait pas, la confrontation était beaucoup plus frontale. La Russie avait vécu la révolution Orange en Ukraine comme un véritable échec de sa politique extérieure. Moscou était alors peu enclin à répondre aux exigences ukrainiennes. Cette année, si le dossier gazier reste soumis à des considérations politiques, les négociations sont beaucoup plus dépassionnées qu’en 2006. Et l’Ukraine a en mains des cartes qu’elle n’avait pas à cette époque.
Et il faut rajouter que ce sont les dissensions entre les deux têtes de l’exécutif qui nuisent à la stabilité du pays et non pas une lutte entre l’opposition, représenté par le Parti des Régions et l’alliance Iouchtchenko- Timochenko.
Cependant des interactions entre cette crise gazière et les dossiers liés à l’OTAN et à l’OMC sont manifestes.
Des interactions qui s’avèrent d’ailleurs favorables à l’Ukraine. Jusqu’à présent, l’Ukraine restait dans les pas de la Russie en matière d’accords internationaux. Ceux-ci étaient d’abord signés ou ratifiés avec la Russie avant de l’être avec l’Ukraine[1].
Le fait que l’Ukraine devance la Russie dans le processus d’intégration à l’OMC change la donne. D’autant que lorsque Kiev siégera au sein de cette instance, elle devra se prononcer sur l’intégration de la Russie. M. Iouchtchenko a d’ores et déjà fait savoir qu’il n’utiliserait pas ce pouvoir de pression. Même constat concernant l’OTAN et les déclarations du Président ukrainien indiquant que la Constitution serait si nécessaire changée pour interdire le déploiement de bases étrangères sur son territoire. De quoi réconforter Moscou.
L’Ukraine sort ainsi renforcée, d’autant que, contrairement à la Russie, les négociations avec l’Union européenne concernant un accord de coopération plus étoffé sont lancées depuis mars dernier.
Une Russie inquiétante ?
Mais les événements de Géorgie pourraient remettre à plat cette politique. En effet en pleine crise politique intérieure, le camp du président pro-occidental Viktor Iouchtchenko dénonce l’impérialisme de Moscou, qui délivrerait de nombreux passeports russes en Crimée. La question de la délivrance de passeports russes en Ukraine, et notamment en Crimée, figure au premier rang des préoccupations des partisans du président Viktor Iouchtchenko. Ce dernier manifeste sur ce sujet une vive inquiétude, selon plusieurs déclarations de responsables ukrainiens. En fait, les tensions russo-ukrainiennes sont renforcées par la question de la renégociation du traité d’amitié russo-ukrainien de 1997 – intitulé Grand Traité – qui a été prorogé début octobre pour une période de 10 ans. La résiliation du Grand traité aurait porté un coup moins important à Kiev qu’à Moscou. En effet, la non prorogation du traité n’aurait pas permis à la Russie d’avoir une marge de manœuvre supplémentaire pour de nouvelle revendication territoriale. La Russie déploie de grands efforts en vue de prouver au monde que les événements dans le Caucase et la reconnaissance de l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie sont une exception, et l’Occident fait de même à l’égard du Kosovo. Si la Russie avait osé résilier le traité, cela aurait remis en question l’importance de l’ensemble des traités que signe la Russie et le pays se trouve déjà assez isolé comme cela.
Par ailleurs, selon le diplomate ukrainien Iouri Chtcherbak, environ 180 000 personnes en Crimée posséderaient un passeport russe. « Les autorités ukrainiennes ne cachent pas qu’elle craignent une répétition des scénarios abkhaze et ossète », affirme l’agence polonaise PAP, citée par tous les médias de Varsovie. Surtout en Crimée, dominée par la population russophone. Selon la Constitution de 1996, la citoyenneté ukrainienne est exclusive. Pour avoir un autre passeport, il faut d’abord renoncer à la citoyenneté ukrainienne. Selon Sergueï Koulyk, chef du Centre d’études géopolitiques Nomos, à Sébastopol, la double nationalité concerne environ 40 000 personnes en Crimée. Ce sont avant tout les marins de la Flotte de la mer Noire russe et leurs familles. Comme il l’explique, la question s’est déjà posée eu début des années 1990, où les Etats indépendants se sont créés sur les décombres de l’Union soviétique, parmi lesquels la Russie et l’Ukraine[2].
Envenimées par la crise géorgienne d’aout, les relations russo-ukrainiennes sont au plus bas. Dans l’attente d’un changement de pouvoir à Kiev (une présidentielle est prévue en 2009), Moscou mise sur Ioulia Timochenko et tire à boulets rouges sur le président Iouchtchenko, qualifié jeudi de « fripouille » par Vladimir Poutine. Le premier ministre russe a accusé au passage l’Ukraine d’avoir livrée des armes à la Géorgie pendant le conflit du mois d’aout, un « crime » selon lui[3].
Et il se demande ouvertement si les accords trouvés au début du mois d’octobre sur le gaz auront une suite à cause de l’instabilité politique ukrainienne.
Le Kremlin dispose donc de plusieurs outils pour influer sur l’Ukraine, le gaz, la forte minorité russophone à l’est du pays et la présence de sa flotte à Sébastopol.
L’action de l’Union Europeenne en Ukraine
De son coté l’Union européenne semble développer une stratégie sur quatre volets avec le pays.
Le premier est bien sûr le volet énergétique. Le débat européen sur l’énergie se focalise le plus souvent sur la question des approvisionnements.
Un œil sur une carte des oléoducs alimentant l’Europe montre bien l’interdépendance actuelle de la Russie et de l’Union. Si l’Europe peut acheter son gaz en Russie (mais aussi en Norvège ou en Algérie), la Russie le vend prioritairement à l’Europe. Les projets d’oléoducs et de gazoducs vers la Chine ou le Japon sont nombreux, mais ne sont aujourd’hui que des projets. On assiste donc bien à une interdépendance des Européens et des Russes, de ce point de vue.
Et l’on voit ainsi le rôle pivot joué par l’Ukraine dans l’approvisionnement énergétique européen.
L’Ukraine est le principal point de passage du gaz russe vers l’Union européenne (80%) et l’un des verrous de l’approvisionnement global européen (40% du total du gaz consommé dans l’UE). Ces chiffres illustrent à eux seuls l’importance stratégique de ce pays pour l’Union européenne comme pour la Russie. Au moment où la situation politique ukrainienne est de plus en plus confuse, la question se pose pour les Européens de savoir comment stabiliser cette région vitale[4]. Cette stabilisation pourrait passer par une adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne, ou par une forme de « super-association ». Quels en seraient les avantages ?
Tout d’abord, la sécurité énergétique de l’Europe s’ouvrirait de nouveaux horizons.
La première serait un meilleur contrôle des réseaux d’approvisionnement européens. Tout comme Gazprom essaie de descendre les tuyaux des lieux de production aux maisons individuelles européennes, les Européens pourraient tenter de faire le chemin inverse et de remonter le plus loin possible vers le lieu de production, chemin sur lequel l’Ukraine est une étape obligatoire. Cette remontée devrait aussi permettre une remise en état du réseau ukrainien qui en a bien besoin et qui nécessiterait environ 2.5 milliards d’euros d’investissements.
Le second avantage d’une forme d’association ou d’adhésion serait de stabiliser le pays, notamment en exigeant plus de transparence dans le secteur du gaz. L’Ukraine est le pays du gaspillage : son économie est le plus gourmande du monde et le pays consomme plus de gaz que le Japon ou même que l’Afrique dans son ensemble !
L’opacité des réseaux, de la distribution et des intermédiaires sont autant de facteurs de corruption et de pression sur la vie politique ukrainienne. Le règlement de la question gazière sur le long terme est l’enjeu principal. Gazprom, tout comme l’Ukraine, aspire à une telle perspective. Sur ce point, l’élimination des sociétés intermédiaires au fonds et structures douteuses comme RosUkrEnergo est un facteur essentiel pour que les deux partenaires gaziers – Gazprom et Naftogaz – parviennent à établir des relations commerciales durables. C’est d’ailleurs l’un des principaux sujets qu’est venu évoquer la Premier Ministre Ukrainienne avec son homologue russe début octobre, c’est aussi sur cette question que se trouvent les principales frictions entre les deux tête du pouvoir en Ukraine.
En effet, le pays n’a pas encore pris le problème de la réduction de sa dépendance au gaz à bras-le-corps. Il connaît une « malédiction du gaz bon marché » : entre 1998 et 2005, Kiev a payé ses 1000 m3 de gaz environ 50 dollars contre 192 en Europe de l’Ouest. Le pays a donc profité de son « avantage comparatif » et s’est concentré sur des secteurs à forte consommation d’énergie comme l’agriculture et la sidérurgie. Aujourd’hui cet avantage s’est transformé en forte dépendance et le système de corruption qui s’est développé autour de son opacité est un vecteur de déstabilisation permanente pour le pays. La mise en application des règles européennes en termes d’économies d’énergie ou de transparence des marchés publics seraient un puissant levier de stabilisation de l’Ukraine.
Vues sous leurs angles énergétiques, une « super association » ou une adhésion pour l’Ukraine seraient très bénéfiques pour l’Europe. D’autant que cette solution suscite moins d’hystérie à Moscou que la perspective d’une adhésion à l’OTAN.
Le second volet est la transition démocratique. En Ukraine, il y a des tensions dues à la dissolution du Parlement décidée par le Président pro-européen Ioutchenko. Il y a toujours un risque de trouble dans le pays ou de fin de l’expérience démocratique menée depuis la Révolution Orange.
Les gouvernants ukrainiens ont entrepris de faire de l’Union Européenne une perspective pour sortir le pays de la crise permanente. Cela ne signifie pas que l’idée de l’intégration dans les structures européennes ne soit apparue que maintenant.
Les relations entre l’Ukraine et l’Union européenne ont été réglées en 1998, par un Accord de Partenariat et de Coopération (APC). Un an après (en 1999), le conseil européen d’Helsinki a adopté une stratégie commune de l’Union Européenne envers l’Ukraine. Mais ce qui n’a pas été possible au temps du régime de Leonid Koutchma, est devenu une devise de la révolution orange. Aujourd’hui, l’adhésion à l’Union Européenne représente un objectif stratégique de l’Ukraine et une priorité de sa politique étrangère. Pourquoi ?
Tout d’abord, parce que le fait d’être reconnue par les pays d’Europe occidentale comme un partenaire européen, et d’être intégrée dans les structures politiques et économiques européennes, représente pour l’Ukraine la meilleure garantie possible de son indépendance. Craignant une réintégration à la Russie (à l’instar de ce que risque la Biélorussie). Le soutien de l’Europe dans le processus d’assainissement de l’économie ukrainienne, ainsi que l’établissement des relations économiques bilatérales jouent ici un rôle marquant. Les dirigeants ukrainiens comptent sur une assistance réelle de la part de l’Union européenne. Elle espère profiter de la même solidarité que les anciens pays de l’Est au moment de leur intégration à l’Union européenne[5].
Mais sur ce sujet les pays européen sont divisés.
Si la Pologne, la République tchèque, les Pays Baltes, le Royaume-Uni et la Suède soutiennent la volonté d’intégration à l’UE des Ukrainiens, l’Allemagne, l’Autriche et le Benelux n’y sont pas favorables et craignent que la proposition « d’accord d’association » n’ouvre la voie à l’adhésion automatique de ce pays à l’UE.
Les discussions autour de l’accord d’association, qui a été proposé ce mardi 9 septembre à l’Ukraine, ont été tendues. L’Union européenne et l’Ukraine se sont engagées à Paris à conclure en 2009 un ambitieux accord d’association, sans se prononcer sur l’adhésion future de l’ex-république soviétique à l’UE. La déclaration finale qualifie l’Ukraine de « pays européen », qui « partage avec les pays de l’Union européenne une histoire et des valeurs communes. » L’UE déclare « prendre acte des aspirations européenne de l’Ukraine ».
Le futur accord d’association se traduira par un renforcement des relations politiques et économiques entre l’UE et l’Ukraine et permettra « une convergence plus grande » de leurs politiques étrangère et de sécurité, précise la déclaration conjointe.
Il mènera à l’établissement d’une zone de libre échange, avec un rapprochement de l’appareil réglementaire ukrainien des normes européennes, et contribuera à « une intégration graduelle de l’Ukraine » au marché intérieur de l’UE.
Deux questions ont fait débat : la mention de l’identité européenne de l’Ukraine et les dispositions concernant les visas.
Dans une lettre adressée au Yalta European Strategy (un réseau européen favorable à l’entrée de l’Ukraine dans l’UE), le 11 juillet, Nicolas Sarkozy avait annoncé : « Avec ce nouvel accord, le rapprochement entre l’Union européenne et l’Ukraine se poursuivra en prenant en compte pleinement l’identité européenne et le choix européen de l’Ukraine. »
L’Ukraine plaide également pour que l’accord des visas européens soit facilité. Mais le Portugal, l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie se sont montrés réticents, refusant un dialogue trop précipité par crainte d’une augmentation des flux migratoires. L’accord d’association ne règlera donc pas cette question[6].
En attendant, l’Accord d’association ne pourra être conclu au plus tôt qu’en 2009, estime la présidence de la République française. L’UE et l’Ukraine sont liées juridiquement depuis le 1er mars 1998 par un accord de partenariat et de coopération, et depuis 2004 par la politique européenne dite « de voisinage », qui a abouti en février 2005 à la conclusion d’un plan d’action pour une durée de trois ans.
L’objectif de ce plan d’action est d’intensifier la coopération politique entre l’UE et l’Ukraine, à laquelle il est offert une perspective de participation au marché intérieur européen et aux programmes et politiques communautaires.
Ainsi avant de parler d’adhésion l’UE développe une stratégie d’alignement de l’Ukraine sur ses standards qui renforcerait son adhésion à la démocratie et aux valeurs européennes.
Cet accord a été négocié sur fond de crise du Caucase et le problème des « Conflits gelés » dans la région.
Dans le règlement de ces conflits, l’Europe pourrait s’appuyer sur une Ukraine stabilisé et prospère, capable de jouer véritable rôle dans la région de la Mer Noire. Et si l’UE peut jouer un rôle de médiateur entre la Russie et l’Ukraine, l’Ukraine pourrait jouer un rôle notamment dans le règlement du conflit Moldave en liaison avec l’UE et la Russie. Mais seule une Ukraine démocratique, stable, assurer dans ses frontières pourraient remplir un tel rôle.
Une Ukraine qui aurait choisie sa voie. L’Union dans ce choix peut jouer un rôle de tuteur, on le voit la puissance douce de l’Union a plus influer en 10 ans sur le développement de l’Ukraine comme un État en transition économique, démocratique, capable d’agir dans la communauté internationale que presque 20 ans d’ingérence Russe.
Mais si l’Ukraine tente de se raccrocher aux institutions euro-atlantique on a pu noter un regain dans les relations politiques entre les deux pays avant que l’affaire géorgienne n’éclate. Ce regain, voulu par les gouvernant Ukrainien dénote aussi d’une tentative qui se veut balancer mais assumé. Tout en se rapprochant de l’Union et de l’OTAN, l’Ukraine essait d’établir des relations de bon voisinage avec la Russie.
Le choix ne peut donc pas tout à fait être tranché. L’Ukraine, par l’histoire et la géographie ne peut tout simplement pas se détourner complètement de la Fédération de Russie. Ainsi, les cassandres qui nous annoncent le retour d’une guerre froide, oublient que dans tout cet espace post-soviétique dont l’Ukraine n’est qu’une partie, les interdépendances entre les deux anciens blocs sont devenues tellement forte qu’un retour à une opposition aussi frontale que la guerre froide est simplement impossible. Dans ce contexte, la position de l’Ukraine, entre Russie et Union européenne est tout à fait capitale. Elle apporte à l’Union Européenne un champ d’expérimentation et de mise en application de son « soft power » et un relai pour sa politique vis-à-vis de toute la région y compris la Russie et cela en toute indépendance par rapport aux États-Unis d’Amérique.
Conclusion
L’Ukraine ne peut rester une sorte d’État tampon, entre Union Européenne et Fédération de Russie, tiraillée entre son Ouest europhile et son Est russophone. Cette situation est déstabilisante pour elle-même mais aussi pour son voisinage. Or, l’Ukraine, de par son importance stratégique, sa position sur la Mer Noire, ses ressources et son potentiel économique ne peut pas rester à cheval entre Russie et Europe.
La première voie consisterait à pérenniser la situation actuelle, le pays à la fois dedans est dehors des grandes institutions euro-atlantiques. Dedans car associé aux prises de positions communes et invité à participer aux opérations de maintien de la paix et militaire de l’OTAN ou de la PESC. Dehors car elle ne serait pas dans les cadres institutionnels et serait seulement « associée ». Nul doute que même cette posture là ne conviendrait pas à la Russie et mettrait l’Ukraine en porte à faux avec ses « alliés », ainsi si demain éclate une nouvelle crise en Asie centrale ou dans le Caucase qui impliquerait la Russie, qu’elle serait la position de l’Ukraine ? Sachant qu’elle ne serait pas protégée par l’article V du traité de l’atlantique nord ou par une future clause de solidarité européenne ? Ou alors, est ce que l’Ukraine resterait neutre vis-à-vis des actes de la Russie, par « peur » ?
Intégrer l’Ukraine à la fois dans l’OTAN et l’Union ? Quelle serait la réaction de la Russie ? L’OTAN au sommet d’avril 2008 a assuré à l’Ukraine qu’elle avait toute sa place dans l’Alliance mais que ce ne serait pas pour tout de suite, ce report ayant été obtenu par la France et l’Allemagne soucieuse de ne pas froisser plus la Russie. Le faire quand même serait donné un casus belli à la Russie contre l’Ukraine. Elle risquerait aussi de faire de la Russie un voisin encore plus difficile voire hostile pour l’Union européenne. Alors même que les deux sont très interdépendants, l’un au niveau énergétique l’autre au niveau technologique. Cette décision aurait des conséquences jusqu’en Asie centrale pour la coopération entre Russe et Américain contre le terrorisme et amènerait la Russie à durcir sa lutte contre l’influence Américaine en Asie centrale, tout en empêchant les européens de s’y implantés.
Pourrait alors se dégager une autre solution, l’intégration dans l’Union mais pas dans l’OTAN, cela serait envisageable. Mais les russes ne seraient pas dupes, intégrée à la PESC et à la défense européenne, l’Ukraine serait de facto intégrée à l’OTAN. En effet, comme la présenté depuis plusieurs mois le président Français, la PESC serait un pilier de l’OTAN de ce coté ci de l’atlantique. Ainsi, l’Ukraine dans le cadre de l’Union serait de fait un membre de l’alliance. Les Russes ne réagiraient pas ?
La quatrième option serait l’entente régionale, un espace économique et politique de la Mer Noire. Sans la Russie, ni l’Union européenne. Une sorte d’espace intermédiaire qui irait de Minsk à Erevan. Mais plusieurs inconnues pèsent sur cette option. La tentative du GUAM[7] par exemple ne s’est soldée par aucune réalisation concrète à part peut être d’augmenter la défiance de la Russie vis-à-vis de ses anciennes républiques. Les objectifs du GUAM semblaient être la réduction de la dépendance énergétique de la Russie non seulement des Etats membres de l’organisation mais aussi de l’Union européenne. Mais l’Arménie a toujours une forte dépendance vis-à-vis de la Russie non seulement aux niveaux énergétique mais aussi militaire des soldats Russes sont toujours stationnés dans la base de Gumri. La Biélorussie quand à elle semble totalement dans la flou, d’un coté elle a signé un traité d’Union en 1997 avec la Russie mais d’un autre coté la pouvoir autoritaire de Minsk semble se complaire dans l’isolement et ne cherche pas vraiment à faire de mouvement ni vers l’Ouest ou le Sud et de fait reste un satellite de la Russie. Enfin, la Turquie, si finalement elle est refusée dans l’Union européenne, ne serait elle pas à l’aise dans un espace qu’elle connait bien et dont elle est déjà l’un des piliers. Par exemple l’Organisation de coopération économique de la Mer Noire, seule organisation régionale qui est une réelle importance a son siège à Istanbul. D’ailleurs cette organisation aurait pu être une porte de sortie pour le future géopolitique de l’Ukraine mais la présence de deux pays de l’Union européenne et de la Russie rende caduque d’éventuelle évolution politique de l’OCEMN.
La cinquième option, la plus dangereuse, mais peut être pas la plus improbable. Au vue des événements de Géorgie et la reconnaissance unilatérale de l’Abkhazie et de l’Ossétie par la Russie, existe en Ukraine des éléments sécessionnistes en Crimée notamment. Nous l’avons vue la Crimée pourrait être tentée de rejoindre la Fédération Russe voire devenir indépendante et
être soutenue par la Russie. Une telle éventualité n’est pas à écarter, il n’y à qu’a voir au cœur de l’Europe où l’idée d’une séparation de la Belgique n’est plus jugé si farfelu. Reste à savoir si il existe assez de ressort dans le pays pour une telle solution et si ce divorce se fera dans la douleur ou à l’amiable. Et comment réagiront la Russie, les États-Unis et surtout l’Union européenne.
Enfin la dernière option est peut être la plus utopique, réhabiliter la « Maison commune » chère à Mikhaïl Gorbatchev. Redonner à la Russie et à tout l’ancien espace soviétique une place sur le continent européen.
Le nouveau contexte géopolitique a remis en cause l’espace stratégique russe: elle n’a plus qu’un accès limité à la mer Baltique et ne peut plus tirer avantage de la situation stratégique de « fenêtre » sur l’Europe qu’offrait l’Ukraine. L’extension de l’OTAN accentue encore ce sentiment de défaite. Elle attise les penchants paranoïaques des Russes en ravivant la crainte historique de l’encerclement par des puissances adverses. Se reconnaître Européen, n’était-ce pas le moyen d’obtenir une aide substantielle des autres “Européens”, ceux de l’Ouest, au nom d’une certaine solidarité? Or, loin de les accueillir et de réaliser par là la “maison commune”, l’Occident semble avoir adopté une politique d’isolement de la Russie afin de se prémunir de tous ses problèmes internes.
Mais si demain, l’Europe changeait de stratégie, en s’affirmant comme pôle mondial, capable de pourvoir à sa propre défense, elle n’aurait alors plus à craindre le grand voisin russe. Le président Medvedev n’y a-t-il pas fait allusion en parlant d’un espace de sécurité de « Vladivostok à Vancouver ».
Alors l’Ukraine n’aurait plus à « choisir » entre deux parts qui sont, en fin de compte, partie intégrante de son histoire et de son identité.
[1] Laure Delcour, Directrice de recherche à l’
IRIS, « La crise gazière ukraino-russe est plus dépassionnée qu’en 2006 »,
interwiew accordé au Bulletin de l’Industrie Pétrolière
, 07 avril 2008
[2] Courrier International, « Moscou compte-t-il annexer la Crimée ? », 12 sept. 2008
[3] Marie Jégo, « Moscou soutient Mme Timochenko contre le président ukrainien Iouchtchenko », LE MONDE, 5 Octobre 2008
[4] Philippe Perchoc, « Ukraine et Turquie dans l’UE : la clef de l’indépendance énergétique ? », nouvelle-europe.eu, 13 octobre 2008
[5] Katarzyna Korolko, « Comment l’Europe peut aider l’Ukraine à conserver les acquis de la Révolution Orange ? », Le Taurillon, www. taurillon.org, 18 juin 2007
[6] http://www.euractiv.fr
[7] Géorgie, Ukraine, Arménie, Moldavie : Le GUAM — Organisation pour la démocratie et le développement est une organisation internationale de coopération à vocation régionale regroupant quatre Etats participant à la Communauté des États indépendants.