La Turquie, l’Occident, Israël et la « flottille » humanitaire

Pourquoi la Turquie, tout d’un coup, alors que depuis presque dix ans elle entretient de bons rapports avec Israël, se décide-t-elle à tourner le dos à son seul allié au Moyen orient ? Pour un incident, tragique certes, mais qui n’implique aucunement des intérêts stratégiques d’Ankara.

Ce revirement doit inquiéter l’Union européenne, l’activité diplomatique de la Turquie depuis quelques années doit faire se poser des questions à Bruxelles.

Les « humanitaires » savaient parfaitement qu’Israël riposterait et la Turquie idem.

Si l’on comprend les motivations israéliennes, affirmation de sa souveraineté, respect du blocus de Gaza, on comprend moins les motivations de la Turquie de monter en épingle cette affaire.

Pourtant, si la Turquie réussit à se placer en chef de file d’une résistance à Israël comme elle semble tentée de le faire, cela correspondrait à l’un des marrons que ce pays garde au feu depuis la fin de la Guerre froide.

Depuis le milieu des années 1990 on assiste à une démultiplication de la diplomatie d’Ankara, vis-à-vis de l’Asie centrale et des républiques turcophones, de l’Europe bien sur, mais aussi vers la Russie et dernièrement l’Iran.

Ankara jouant un subtil équilibre entre ces plusieurs points de focalisation de sa politique étrangère semble vouloir, en rompant ses relations avec Israël, couper un pont important avec son orientation pro-occidentale et pro-européenne.

En effet, s’il y avait un point sur lequel européens et turcs se retrouvaient en politique étrangère, c’était bien la nécessité de deux Etats en Palestine, un juif (Israël) et un musulman (Palestine).

Dans ce but, la Turquie a toujours eu une relation amicale avec Tel-Aviv tout en participant aux programmes européens d’aide à la construction d’un État palestinien, de plus, cette alliance prenait à revers la Syrie des Assads vue par Ankara comme un État soutenant les mouvements séparatistes kurdes.

Il semblerait que la Turquie, bien qu’ayant les mêmes objectifs que les américains en Eurasie ; recul de l’influence russe, mise en échec des Etats terroriste, sécurisation des transports énergétiques, joue aujourd’hui la carte du Moyen Orient et se détourne un peu plus de l’Occident et de l’Europe.

Le plan proposait avec le Brésil pour l’uranium iranien, sans concertation avec Washington ni Bruxelles, les accords énergétiques avec la Russie et l’entente affichée avec Téhéran sont autant de signes de la désillusion qui gagne l’élite turque vis-à-vis de l’Europe et de sa future intégration à l’Union européenne, vécue en Turquie comme un attachement définitif à un Occident développé.

La porte de l’UE, trop longtemps fermée va peut être pousser les turcs à se tourner vers la Russie et l’Iran. La crise de la flottille de Chypre est peut être l’élément déclencheur de ce revirement.

Evidemment, tout ne peut pas se faire en un jour et ce glissement que l’on peut observer depuis une décennie peut parfaitement se retourner : la Turquie fait toujours partie de l’OTAN, les négociations d’adhésion à l’UE peuvent se débloquer, la Russie peut faire un faux pas dans le Caucase ou vers l’Ukraine, ce qui refroidirait Ankara, l’Iran pourrait devenir définitivement hors de contrôle.

Dans tout les cas, plus qu’un Iran nucléaire ou qu’une Russie de nouveau menaçante, c’est de la question turque que les diplomates occidentaux doivent s’inquiéter, car elle fait le lien entre ces deux défis lancés à l’Europe et au-delà à l’Occident.

Ludwig ROGER

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Classé dans Avenir de l'Union, Turquie

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